L'Épopée du Crabe

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   On s'est rencontrés un jour de pluie diluvienne. Monsieur X a mis un nom sur l'étranger qui sommeillait en moi et dont je sentais l'invasion progressive et inexplicable au point même que j'en venais à douter, avec les autres, de ce mal-être indicible.  

   Presque timide tu m'épiais, lançait quelques signaux d'alerte pour que je remarque enfin ta présence. Mais si tôt ma curiosité piquée tu t'appliquais à te dissimuler aux confins de ma chair, invisible et me dardant de mon incapacité à te saisir pleinement. 

   Je me suis peu à peu effacé et tu as parlé. Distinctement. Apparaissant sur mon corps, sous forme de rougeurs, de douleurs et de bosses, comme si tu t'étais amusé à me pincer, me malmener, me taquiner même dans une insolence enfantine, sachant que l'on mettrait tous ces maux sur le compte de mon jeune âge, sur mon impétuosité si tant est que j'osais me mettre à courir ou sortir de mon lit. 

   Mais il y a des images qui ne trompent pas. Tu t'es révélé à la lumière aveuglante de multiples tests, débusqué, recroquevillé et menacé. Toutefois tu n'as pas baissé la garde, t'es accroché à moi à te fondre dans mon esprit, à prendre possession de tout, de mon existence même et je savais, à ce moment là, que l'emprunte de tes pinces resteraient à jamais gravées dans ma peau et dans mon âme.   

     Nous avons passé de longues nuits à nous battre silencieusement, chacun armé à notre façon, moi par les aiguilles et les fils, t'abrutissant à coup de Vinblastine, toi par ton mystère et ton imprévisibilité. Pourtant, plus je te repoussais, plus je tentais de te faire reculer, à bout de bras, plus tu riais, t'imprégnais, m'effrayais. Et j'ai fini par te laisser te répandre. Couler en moi. Inarrêtable que tu étais, soit, j'ai fermé les yeux, sans peur. Engloutis moi tout entier si tu le désires mais ce n'est pas toi qui gagne, seulement moi qui renonce, te privant de la fierté du triomphant et si tu veux la victoire, ce ne sera pas par un pathétique rapport de forces, dans lequel l'un est l'autre aurions la nécessité de prendre le pas. L'avantage que j'ai sur toi, c'est de ne plus te craindre. 


Tu es diffus mais Je t'ai vaincu, petit crabe. Par mon esprit de fer, ma conscience et mon absolue sérénité. 

Au Nom de ma MèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant