Mamée a dit que cette année il n'y aurait pas de veillée. Peut-être suis je déjà trop grand, pour continuer à comater devant le feu, les larmes au coin des yeux tandis que le sommeil guette et que la patience s'égraine au grès des braises fatiguées. Il n'y aurait pas de sapin avachi sous les paquets non plus, ni de cris impatients, entre deux coups d'oeil furtifs jetés à la grande horloge, tandis qu'une odeur d'alcool et de viande emplirait la pièce à vivre de chaleur festive.
Les cousines ne sont pas venues cette année. Nous ne somme pas allés les voir non plus. Maman ne quitte que peu son lit et moi je suis ici.
Le ciel pleure des larmes en cristal, aiguës et froides contre le double vitrage. Le nez collé à la fenêtre, les yeux écarquillés comme un trappeur, je guette l'ombre d'un traîneau volant et je me prends tellement au jeu que j'y crois presque. Qu'une magie ultime existe quelque part et vacille, dernier cierge allumé au fond d'une église en ruines.
Oka-san est venue dans la soirée, cernées et les joues mordues férocement par le froid, comme si celui-ci avait voulu la dévorer toute entière. Je me demande encore comment ses fines jambes ont pu affronter la neige sans se briser. Elle qui se désagrège à la menace du vent, ses cheveux raides et noirs fondu dans l'océan abyssal.
Les lampions allumés ici entre deux sommeils répandent leur lumière en jet de couleurs éparses sur les murs crème et je supplie Oka-san de me fredonner un air d'antan. Il parait venir d'outre-tombe, dans les limbes mortes de sa poitrine menue et épuisée, la complainte d'un cadavre avant l'heure mais je ferme les yeux, j'écoute ce chant qui me ramène auprès des miens, loin des perfusions et des masques de protection.
Le personnel soignant passe quelques fois, un bonnet de noël sur la tête ou bien une guirlande autour du cou, tentant d'apporter un peu de chaleur dans les pièces austères.
Je trouve quelque part, je me demande encore où, la force d'esquisser un sourire pâle et de chanter. Un infirmier me fait danser entre mes fils d'argent et je m'assoupis tandis que le paysage se fond en mille couleurs, théâtre de notre fête de noël improvisée, loin de l'innocence que l'on tente en vain de retenir entre nos mains engourdies.
Rosi par la fièvre et l'excitation je lutte un peu contre le sommeil salvateur, suspendu au dessus de mes lèvres comme un détraqueur.
-Tu sais maman... je veux que ça redevienne comme avant. Que l'on soit à trois ou a dix à la maison... réunis et heureux. (j'ai tourné ma tête vers l'extérieur où le monde hurlait sa fin). Pas toi ?
Son regard mort se voila davantage. Elle ne dit rien pendant de longues secondes mais je n'étais pas impatient. La réponse viendrait, susurrée douloureusement mais résonnante avec tout ce qu'elle impliquait.
-On verra chéri... une autre fois peut-être...
Et puisqu'elle n'y croyait qu'à moitié elle baissa le menton, lointaine à présent dans ses mille pensées que jamais on ne descelle chez elle.
-Oui c'est ça Ame... une autre fois...
24 décembre 2012
Texte remanié, issu d'un journal de bord
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Au Nom de ma Mère
PoetryOn se cabre, on s'insurge et on crache. Jusqu'au jour où ses yeux remplis de larmes coupables se ferment et que nos voix se taisent. La douleur de notre premier souffle surgit alors du plus profond de nos entrailles, lancinante et cruelle. Et nous...