Baptême

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Je suis rentré dans l'eau glacée comme on entre dans la vie 

En retenant mon souffle, en fermant les yeux comme redoutant un obstacle de béton qui ne surviendrait que des années plus tard. 

L'écume faisait à mes bras des longues manches de kimono blanc et ondulait autour de mon corps en un chiton de soi. L'eau se blottissait au creux de mes côtes saillantes tandis que Mamée me tirait entre les vagues. La tête renversée, les dents s'entrechoquant à cause de mes tremblements incontrôlable, je souriais au brouillard du ciel dont le soleil dissimulé semblait sourire. 

Les pins offraient au vent leur courbe déployée, penchés au dessus des dunes pour contempler la scène incongrue qui se jouait sur leur terre. Un vieil enfant de dix-huit ans barbotant dans l'océan de glace et une jeune grand-mère au cheveux immaculés, frêle comme une enfant des plages. 

La grève scintillait et n'avait plus réellement de limite, s'étendait jusqu'au cieux même, univers renversé, univers de Friedrich, univers d'Adam, univers folklore de mon enfance enfouie sous le sable froid, ensevelie, Pompéi moderne, oublié. 

Traîné hors de l'eau tel un naufragé j'ai chu sur le sol brisé, tremblant de froid, à moins que ce ne soit de plaisir. Bras douloureux, poumons gémissant faiblement, mon corps protestait de toutes parts et j'aimais ça, l'entendre se révolter hurler craquer blêmir pâlir mourir. Le malmener pour qu'il ne me malmène pas. Le sentir vivant jusqu'à l'agonie. Brûlant de fièvre et de courage, de larmes et de détermination. 

Transi et immobile, je me sentais pourtant infrangible, mu d'une force surhumaine, presqu' essentielle, tapie aux tréfonds de moi, étouffée mal refoulée interdite traumatisée pulsionnelle passionnée révoltée puis... libérée... En un cri déchirant l'air insonorisé. 

Mon cri comme un violon soliste désaccordé et grinçant, un rire retenu. 

Un cri d'hystérique heureux. 



Au Nom de ma MèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant