Lune Pourpre

Chapitre 14 - Peau Bleue & Amitié Féminine

    Marga tourna la tête pour la 10e fois vers la table de Kim. Elle lui avait dit que la personne qui devait la rejoindre ne tarderait pas. Elle était cependant un peu impatiente. Cela faisait quelques années qu'elle et la militaire se connaissaient. Elle avait commencé à travailler au « Doux Siroté » il y a 6 ans, avec seulement un diplôme mineur en poches, ce qui était déjà une victoire en soi. Cela faisait seulement 10 ans que les Karü étaient considérés comme une race à part entière, et non plus comme des animaux. Ils avaient de ce fait gagné quelques droits par la même occasion, à savoir celui à l'éducation, de détenir un compte en banque, une identité civile, et une couverture médicale, même si, à cause de leur constitution propre, ils n'en avaient pas besoin. Même pour cette race née de manipulations génétiques 50 ans en arrière, c'était un immense pas en avant, et la mère de Marga l'avait poussé à faire tout son possible pour s'intégrer dans la société, qu'importe ce qu'elle ferait pour gagner son pain, tant qu'elle le faisait dignement. La Karü avait donc obéi sans se prendre la tête. Aimant étudier, elle avait décroché son Diplôme mineur avec mention très bien, puis avait désiré trouver un travail simple, mais où elle serait sûr de rencontrer du monde, et découvrir quotidiennement des gens de différentes races, de plusieurs origines. Après avoir postulé dans de nombreux bars, où sa peau bleu-émeraude l'avait clairement disqualifiée, même si les tenanciers n'avaient pas voulu l'avouer ; c'était au « Doux Siroté » que le gérant, Dromel North, lu avait donné sa chance.

    C'est ainsi qu'elle avait appris, avec grand plaisir, à manipuler les plateaux pour servir les boissons avec ses tentacules, et prit goût à vendre la carte des liqueurs avec son accent qui rappelait les pays du Nord. Ceux qui n'étaient pas habitués à voir une Karü, étaient certes toujours surpris quand cette dernière faisait pousser quasi silencieusement un tentacule de son bras gauche pour saisir une chope, ou passait entre les tables avec six tentacules, toutes issues de son dos, tenant divers éléments avec équilibre, sans trembler. L'adhérence naturelle produite par le corps des Karü faisait qu'il n'y avait aucune chance que les objets portés tombassent, une fois l'habitude prise. C'est en servant donc qu'elle avait rencontré Kim, et qu'elle avait sympathisé. Elles s'étaient appréciées toutes les deux naturellement, pour différentes raisons. Marga appréciait la manière dont Kim la traitait d'égal à égal, alors qu'elle considérait que le travail de Kim était largement plus valorisant que le sien. Elle lui avait confié qu'elle était une Color Agent, ce qu'elle faisait sans entrer dans les détails, et Marga avait apprécié l'entendre raconter cette vie particulière, autour d'un café, tandis qu'en tant que Karü aimant consommer froid, elle-même sirotait un thé glacé. De son côté, elle avait pris le temps de lui raconter timidement, puis passionnément, les diverses anecdotes relatives à son travail, ainsi que du quartier. Kim avait entendu que la mémoire des Karü n'était pas loin du niveau de celle des Wikina, et elle était devenue émerveillée quand elle s'était rendu compte que Marga était une véritable mine d'informations, qu'elle savait en plus trier, pour en dire le juste nécessaire, ou encore faire des liens logiques, qui étaient amusants. Marga lui avait raconté comment elle avait deviné que tel habitué était par exemple marié, à la vue de l'alliance qu'il portait, mais qu'il rencontrait chaque mercredi soir, toutes les 2 semaines, sa maîtresse, à la façon dont elle se comportait, et surtout, grâce à sa main qui était dénuée. Elle lui avait décrit la manière qu'elle avait pris plaisir à battre un joueur de fléchettes, qui était un ancien alcoolique, car il avait toujours un regard troublant quand ses yeux tombaient sur les boissons vendues, mais commandait à chaque fois un jus d'orange. Elle s'était prise d'amitié pour lui, et lui réalisait depuis quelques mois un cocktail sans alcool inédit, une fois par mois, à chacune de ses venues. Cette façon d'être rendait Kim admirative du caractère de la Karü.

     C'est ainsi que Kim avait fini par inviter Marga à pratiquer du sport avec elle, quand elle était de repos, afin d'être encore plus proche d'elle. La Karü n'avait pas refusé, et après quelques mois de parties de ping-pong, de parcours de course, ainsi que de kilomètres réalisés à la nage, Marga était devenue une athlète complète, n'ayant rien à envier aux sportifs de bon niveau. Un jour, Marga avait remarqué que Kim se déplaçait toujours avec un air fier, et qu'elle n'était nullement par les personnes louches qu'elles pouvaient croiser lors de leurs moments sportifs. Kim avait hésité à lui dire pourquoi, puis avait fini par lui révéler que c'était parce qu'elle savait très bien se défendre. Marga l'avait alors demandé de lui apprendre ce qu'elle savait, curieux. Après voir testé le mental de la Karü en la faisait affronter un jeune combattant du dojo qu'elle fréquentait, Kim avait consenti à la former elle-même, afin que son amie soit capable de se défendre d'à peu près la majorité de ses adversaires. Cela avait pris un an à Marga pour devenir une combattante au rang respectable, incapable de battre Kim, mais capable de vaincre tous les autres membres du dojo. Ce qui avait continué à les rendre encore plus complices.

     À travers leurs diverses conversations, le sujet des amours finit immanquablement par venir sur la table. Kim fut la première à révéler qu'elle vivait seule, car ne voulait pas être mal accompagnée. Elle se suffisait à elle-même, et refusait de s'attacher à un homme, car elle estimait, car elle avait mieux à faire globalement. Marga avait vite compris qu'une expérience particulière avait fait son amie déboucher sur cela. Mais Kim n'avait jamais rien laisser filtrer de l'histoire qui l'avait amené à devenir ainsi. Respectueuse du silence de son amie, Marga n'avait pas poussé plus loin. Kim lui avait alors retourné la question. La réponse de Marga l'avait alors étonné.