Chapitre 11 - Surprise Visuelle & Temporelle

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    Il avait fallu quelques minutes à l'androïde pour avoir les idées claires. Voir Niekira flirter, aussi légèrement que cela semblait, avec son ancienne cible, l'avait enragé. Cela avait terminé d'ancrer l'idée qu'il n'avait jamais été autant aimé comme il l'avait imaginé. Il se sentait insulté, et totalement non respecté. Il y a très longtemps, il avait appris que la trahison se payait dans le sang. Il avait même appliqué cette notion. Ce fut son premier meurtre, à l'âge de 16 ans. Il n'avait éprouvé aucun remords, il avait juste été curieux de voir comment la mort avait frappé si vite après avoir poignardé celui qui l'avait trahi. Un voisin du même âge, qui avait rapporté au tuteur de Perian, comment ce dernier s'était amusé à se synchroniser à l'un des distributeurs de la ville, pour se servir en argent, sans pourtant posséder de compte bancaire. Il n'avait pas réagi sur l'instant, mais plutôt attendu le bon moment. Un jour, tandis que le malheureux rentrait du lycée. Il ne l'avait même pas entraîné dans une ruelle, Perian l'avait saisi du col, puis après avoir changé son bras en une lame d'une longueur de 40 cm, et large d'environ 10 cm, avait pourfendu sa victime, ensuite relâchée, en le regardant mourir, sans pitié. L'unique témoin avait rapporté la scène littéralement terrorisée, et avait demandé à être pris en charge par le système de protection des témoins, de peur d'être agressé de la même manière. Le tuteur de Perian n'avait pas cherché loin, il l'avait abandonné entre les mains de la justice, laissant la loi faire son œuvre. Pour avoir tué un être humain de sang-froid, de manière aussi barbare, Perian avait été condamné au Désassemblage, soit la peine capitale pour un Wikina. Elle consistait à totalement défaire le corps d'un Wikina, après avoir forcé sa mise en veille. Son True Core était alors mis en pièces, ses Assets désintégrés, et il n'était pas mis en Biorecyclage, donc aucun autre Wikina n'héritait ne serait-ce d'un iota métallique issu de son corps. Sa tutrice, qui l'aimait énormément, avait réussi à engager un avocat habile, qui avait réduit la peine en 3 mois de Non-Veille, en Chambre Blanche. Cela voulait dire que le Wikina se retrouvé empêché de pouvoir se mettre en veille, dans une salle sans aucun appareil électronique synchronisable, mais au contraire inviolable. Cela figeait le Wikina, et pendant ces 90 jours, il était comme en léthargie, pendant que son Ket se ralentissait peu à peu, pour finalement s'immobiliser. Le Wikina devenait ainsi inconscient les yeux ouverts, jusqu'au coup de jus qui réactivait la circulation de son Ket, et la désactivation du système de Non-Veille. Il revenait à lui-même après une veille, et réintégrait la société, avec une inscription à vie sur son casier judiciaire. Voilà ce qu'avait vécu Perian à 16 ans. Une fois sa peine exécutée, il lui avait été proposé, ou plutôt, imposé, d'entrer dans l'armée, car son tuteur ne voulait plus s'en occuper, et à la vue de son profil, c'était la seule voie de réinsertion qui lui était offerte. La vie civile lui était déconseillée. De plus, la peine de Désassemblage était en sursis, ce qui voulait dire qu'à tout moment, au lieu d'une peine normale, il pouvait écoper de cette dernière. Une glissade à l'armée, après plusieurs années « d'accalmie », avait refait planer la menace beaucoup plus près de sa tête. Étant donné que certains supérieurs avaient repéré le potentiel de Perian, dans tout sa folie croissante et son amour de la torture quand il était envoyé en mission, ils avaient fait en sorte qu'il évite le Désassemblage, mais il lui avait bien été dit que c'était la dernière fois. Il avait cette fois écopé de 6 mois de Non-Veille, le maximum. Il était ressorti comme apaisé en apparence. En réalité, il avait juste appris à intérioriser au maximum. À mettre un temps incommensurable entre ses actions et ses réactions. Il avait cultivé l'art d'être là où on ne l'attendait pas. Développer ses réflexes, son comportement, et sa façon de communiquer, afin d'être si possible insondable, et imprévisible. Et s'était jeté à corps perdu dans des entraînements aux limites psychologiques et physiques de plus en plus poussées. Pour devenir un être redouté même par d'autres vétérans. Un androïde de guerre capable du pire, avec l'aspect des meilleurs. La forme était aussi importante que le fond. C'est grâce à ces années d'expérience que Perian réussit à se contenir dans l'escalier. Il sentit les tremblements de son corps cesser, et sa vue redevenir plus claire. Sous l'émotion, elle était devenue légèrement floue, ce qui était une réaction inscrite dans la Persona de Perian, bien que son corps ne générait pas de liquides. Il baissa ses yeux sur sa main droite. Il avait par réflexe modelé son index en une crosse de pistolet automatique, prêt à tirer. Son corps pouvant générer du bioacier à un rythme accéléré, ce sont des balles de cette matière qui auraient atteint sa cible. Il le savait d'ores et déjà, l'envie de tuer était présente, et c'était clairement Niekira qu'il avait en tête. Si elle n'était pas avec lui, elle n'avait clairement pas besoin d'être avec un autre. Si c'était pour traiter quelqu'un d'autre de la même manière d, cela n'était pas nécessaire. Faire disparaître Niekira serait un bien pour l'humanité. Mais voilà, il ne pouvait pas la tuer gratuitement. Il risquait le Désassemblage, et cela n'était pas dans ses plans. Pouvoir faire un pied de nez sans le vouloir au système était une chose, se jeter dans les problèmes de soi-même, sans tenir compte des tenants et des aboutissants en étaient un autre. Même avec toutes les compétences du monde, faire disparaître Niekira serait plus compliqué juridiquement qu'avoir une raison professionnelle pour le faire sans que cela soit notifié de « crime passionnel ». En fait, vu qu'il y a très peu de chances que les plans de la Volvin aboutissent, Perian comptait sur le marché rouge, qui ne tarderait pas à produire une offre d'assassinat pour son ex. Il n'avait qu'une chose à faire, c'était attendre que l'offre apparaisse, et être le 1er à y répondre. Être payé pour assassiner des gens, c'était tout de même un sacré bon concept.

     Après être sorti de l'immeuble dans lequel habitait Niekira, totalement remis de ses émotions, Perian consulta son système qui lui fournissait l'heure. Il était 9 h 45. S'il se débrouillait bien, il pouvait se rendre à l'Institut des Aînés de Calmy, une ville paisible à côté d'Ora, en 25 minutes. Il lui suffisait de prendre le train urbain de la Gare Ouest, le prochain partait dans 10 min, en s'y rendant à une foulée légère, il y serait facilement. Il parcourut donc la rue l'air tranquille, ayant en tête qu'une chose, se rendre à sa destination. Il voulait penser à autre chose que tout ce qu'il avait vu et entendu plus tôt dans la matinée. En remontant la rue, une personne dans son champ de vision attira son attention. Un homme d'une taille d'environ 1m70, habillé d'une veste en cuir rouge, par-dessus un t-shirt blanc, et d'un pantalon noir, retombant sur des Doc Arting, soit des grosses bottes noires. Il était appuyé contre un poteau électrique, à 3 m devant lui. Il avait des yeux bleus, une cicatrice qui passait au-dessus et en dessous de l'œil droit, ainsi que des cheveux raides couleur neige, avec des mèches noires parsemées dans le lot. L'élément physique qui le démarquait des autres personnes autour de lui était sa paire d'oreilles félines, plus grandes que des oreilles humaines, dont l'extrémité et l'extérieur, étaient composées d'une fine fourrure blanche. Une queue de la même couleur, à l'allure gracieuse, d'une longueur de 50 cm, dépassait du postérieur de son pantalon noir, réalisant des courbes régulières, à un rythme reposant. Un Gatiem adulte, au regard déterminé. Il le regardait droit dans les yeux, et il avait l'air de le fixer depuis un certain moment. Perian fouilla sa mémoire. Il l'avait déjà vu quelque part. Deux fois même. Il y a 2 semaines, dans le train le menant vers Calmy. 3 mois auparavant, se promenant dans les rayons d'un vendeur de vinyles que lui-même affectionnait. Il n'y avait pas de hasard, que des faits et des secrets insoupçonnés. Ce Gatiem ne se trouvait pas sur son chemin de manière innocente. Il était surveillé. Par qui, pourquoi, il allait le découvrir. L'androïde accéléra le pas, en feignant de ne pas voir l'individu, le dépassa une fois arrivé à son niveau, puis, prestement, se retourna, et pointa son index droit, retransformé en crosse de pistolet automatique, avec un silencieux cette fois, en direction de la tête du Gatiem appuyé sur le poteau, à environ 5 cm de distance.

« Qui t'envoies ? »

La personne menacée ne répondit pas. Le Wikina vit que la queue de l'individu s'était stoppée dans ses courbes, et faisait maintenant un arc de cercle, figé. C'était un détail, mais suffisant pour que Perian comprenne que son interlocuteur avait réagi à sa phrase, même s'il n'avait pas répondu.

« Je compte jusqu'à 3. Sois intelligent. »

    Et Perian commença le décompte. Arrivé à 3, il attendit quelques secondes. L'individu n'avait pas ouvert la bouche ni bougé d'un millimètre. Il l'avait prévenu. Le Wikina tira à bout portant dans la tête du Gatiem. Ce n'était ni un passant ni un commerçant, c'était un espion, envoyé par quelqu'un dont il ne connaissait pas le nom. En tant qu'Agent Ombre employé par l'armée, il avait permis de tuer s'il se sentait menacé, il n'y avait même pas à réfléchir plus loin. L'androïde avait à peine fini de penser cela, qu'un sentiment horrible le saisit. Il tenta de cligner les yeux, mais il n'y réussit pas, et vit le paysage autour de lui changer très rapidement, avec un bruit semblable à des pages qui étaient tournées à grande vitesse. Il essaya de s'accrocher à quelque chose mentalement, sans succès. Il eut l'impression de pivoter sur lui-même, une soudaine obscurité l'entoura, ensuite, il cligna inconsciemment des yeux, alors que ses pupilles étaient restées bloquées les secondes auparavant. Quand il les rouvrit, il était assis dans l'escalier de l'immeuble de Niekira, regardant sa main droite. Il avait par réflexe modelé son index en une crosse de pistolet automatique, prêt à tirer. Perian eut une impression bizarre de déjà-vu.

Lune PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant