Chapitre 6

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Le silence.

Uniquement et seulement le silence.

C'était ce qui régnait, entre eux. Personne ne parlait. Quentin dormait déjà. Zakari mangeait sans dire la moindre blague pour détendre l'atmosphère. Laureline et Mila regardaient par la fenêtre. Armande fixait Axel.

Et Axel fixait le vide.

Personne ne parlait.

Après tout, qu'est-ce qu'il y avait à dire ?

Parler des deux nouveaux Destroyas ? C'était déjà fait. Se souhaiter bon appétit ? Ils savaient tous que ce qu'ils mangeaient était infect et tiède. Parler de la mort prochaine de Clément ? Ils avaient tellement débattu sur la façon de comment il devait mourir qu'aucun d'entre eux ne saurait quoi faire, s'il était en face d'eux. Parler de Morgane ? Non...

Tout cela ne menait à rien.

Celle qui pouvait se téléporter lâcha un soupir plein d'amertume avant de se relever. Le plancher grinçait, gémissant à chaque fois qu'Armande marchait. Elle se dirigea vers la porte et l'ouvrit, Mila se retourna et l'interpella :

- Tu vas où ?

- Prendre l'air, rétorqua celle qui pouvait se téléporter, d'un ton sec.

Elle disparut en fermant délicatement la porte. Le Destroya qui pouvait se clonait se leva à son tour et se dirigea vers la cuisine, Zakari fit un signe de la main pour les saluer avant de dire :

- Je vais dormir, moi. Bonne nuit.

Sa voix n'était plus aussi chaleureuse qu'avant. L'adolescent n'était plus le même, redeviendrait-il l'ancien Zakari, un jour ? Personne ne le savait. Personne ne pouvait le savoir.

- Bonne nuit, Zakari, le salua Laureline avec un léger sourire.

Un sourire faux, un rictus de tristesse et d'incompréhension. Celui que la Destroya qui pouvait contrôler les ombres s'efforçait de faire, tous les jours. Mais ce n'est pas un geste qui prouve les ressentiments, qui dévoile nos émotions.

L'adolescent s'en alla alors dans la cuisine, où il avait décidé de dormir pour ''assurer que personne n'allait voler leur nourriture en pleine nuit''. Cela avait été drôle, au début, lorsqu'il y avait encore Morgane pour rigoler de cela, mais à présent, cette remarque ne leur faisait ni chaud ni froid.

Leur appartement était constitué de deux chambres : l'une était où Quentin passait toutes ses journées, condamné à rester dans ce lit toute sa vie, l'autre où Axel dormait, en compagnie de sa bien-aimée lorsqu'elle était encore parmi eux. Zakari dormait dans la cuisine, pendant que Mila et Laureline se reposaient dans la pièce principale, sur les canapés en piteux état. Quant à Armande, elle avait décidé de dormir dans la même chambre que le blessé, sur un matelas gonflable.

Puis le Destroya qui pouvait arrêter le temps se leva à son tour. Les deux adolescentes le regardèrent, d'un regard plein de compassion et d'inquiétude. Il lâcha, d'un ton absent :

- Moi aussi, je vais aller me coucher.

- D'accord, répondit Mila en souriant. Mais, avant...

Les deux adolescentes se regardèrent. Laureline soupira avant de commencer :

- Écoute, Axel... on sait que tout cela est une véritable torture, pour toi. Que Morgane te manque. Que sans elle, c'est pas pareil. On le sait, Axel, on le sait. Mais...

- S'il te plaît, lui coupa la parole l'autre, il faut pas que tu sombres comme tu le fais. Faut pas que tu t'isoles comme tu le fais. Faut pas, pas du tout même ! Sans elle, c'est pas pareil... nous sommes... merde, je sais pas comment te dire ça, moi !

Mila avait les larmes aux yeux, elle baissa la tête pour ne pas montrer son désespoir. La deuxième adolescente poursuivit, en essayant de garder son calme :

- Elle nous manque à nous aussi, merde ! Mais on est un groupe et on le restera. Clément nous a peut-être pris Morgane, mais pas pour longtemps. On va la sauver, on se les promit. Mais pour ça, il faut pas qu'on se laisse aller comme ça. Il faut... qu'on soit plus forts, qu'on laisse pas la tristesse prendre le dessus.

- Armande, elle aussi, est dans un état misérable, continua la Destroya qui contrôlait l'électricité. Zakari a changé. Quentin... on en parle pas ! Mais on sait tous que c'est toi, qui est le plus impacté par ça, et c'est normal. Mais on peut pas te perdre, Axel. Merde, on serait quoi, sans toi ?

Un silence s'installa. Laureline ravala sa salive et Mila détourna le regard. L'adolescent, lui, les regardait de ce même regard indifférent. Elles avaient beau tout lui dire, le meilleur comme le pire, Axel ne voulait pas entendre. Il ne voulait pas les entendre, elles.

Mais il aurait tué pour entendre une toute dernière fois la voix de sa bien-aimée. Même une maigre seconde.

- Sache que t'es pas seul, conclut celle qui contrôlait son ombre, d'une voix brisée. On est là. On est là pour s'aider, s'épauler. Si nous partons tous comme ça, si nous sombrons tous, on pourra pas sauver Morgane. C'est sûr et certain. Donc, je t'en supplie, Axel, bordel de merde, ouvre les yeux. Réalise avant que ce soit trop tard que tu suis le mauvais chemin. Je t'en prie.

Laureline lâcha un tout dernier soupir, les yeux vitreux et les lèvres tremblantes. Mila avait totalement tourné les talons, le regard sur la Ville. L'adolescent hocha simplement la tête pour répondre à tout cela. Que pouvait-il lui dire, sincèrement ? Qu'il savait ce qu'il faisait ? C'était faux. Que sans Morgane, il ne serait plus jamais le même ? Trop évident. Qu'il ne s'isolait pas, que s'il n'était plus avec eux c'était parce qu'il suivait un entraînement proposé par Baptiste, pour mieux maîtriser son pouvoir ? C'était un secret entre le chef, Mathys et lui.

- Bonne nuit, répondit alors le Destroya, en se dirigeant vers sa chambre.

Aucune des deux filles ne le salua. Axel s'enferma dans sa chambre avant de glisser au sol, le dos contre la porte. Il entendit Mila pleurer et Laureline qui essayait de la réconforter, en vain. Le Destroya ferma les yeux.

C'était un Enfer sur Terre. Avignon avait été son jardin d'Éden avait d'être chassé à cause de sa différence. Tout comme tous les Destroyas qui s'étaient réfugiés ici, dans la Ville. Axel en avait assez, mais que pouvait-il y faire ? Ce n'était qu'un adolescent inhumain qui ne voulait pas faire de mal à quiconque.

À part à Clément, mais ça, c'était une autre histoire.

Et le peu de bonheur qu'il avait trouvé lui avait été brutalement retiré. Morgane. Partie, disparue, capturée, loin du Destroya. L'adolescent n'arrivait toujours pas à l'accepter. Elle le hantait.

Axel voulait la revoir.

Axel voulait la serrer dans ses bras.

Morgane lui manquait cruellement.

Il se dirigea vers son lit, les yeux lourds par la fatigue. L'adolescent s'affala sur le matelas inconfortable, mais l'insomnie le tortura encore une fois. Le Destroya ne dormait plus. Il n'y arrivait plus. Il ne pouvait plus.

Mourait-il progressivement, tombait-il en ruine avec lenteur et souffrance, redevenait-il poussière dans l'agonie ?

Axel serra contre lui l'oreiller où avait reposé la tête de sa bien-aimée, le cœur triste et affolé. Il entendait toujours les pleurs de Mila, à travers les murs. Laureline lui chuchotait des paroles qu'il ne comprit pas. Mais, de toute façon, il ne voulait pas les comprendre.

Il s'en fichait.

Il se fichait de tout.

Plongé dans les ténèbres de la pièce, noyé dans ses sombres pensées, le Destroya se laissa couler sans chercher à atteindre la surface. Paupières closes, Axel revoyait Morgane juste devant lui.

Mais aucun moyen de lui parler, d'aller vers elle, de la toucher, de lui hurler qu'il l'aimait.

Sans que personne ne le sache, sans qu'il n'y ait personne pour le voir, le Destroya pleura en silence.

DESTROYAS III : War is the AnswerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant