Chapitre 20

13 2 0
                                    

La nuit était tombée, fatalité céleste du temps incontrôlable et fourbe. Axel s'en était rendu compte quand son corps se mit à trembler, quand la température venait de chuter brutalement.

Il leva les yeux, l'obscurité l'engloutissait et le noya dans une noirceur sans faille. Le Destroya se mit à se rappeler du jour où une pluie torrentielle s'était abattue sur la Ville : tout le monde avait été contraint de se réfugier dans un train, en hauteur, bloqués et condamnés à voir la mélancolie de ce ciel malade.

Oui, il s'en souvenait comme si c'était hier. C'était à l'époque où tous étaient encore vivants. Axel se rappela de ce Quentin blessé que l'on surveillait sans relâche, mais encore parmi eux... de cet orage effroyable qui déchaînait sa haine sur ces erreurs de la nature... de cette Morgane blottie contre lui, proie d'un froid mordant...

Il ne sentit même plus son cœur se serrer brutalement, quand l'adolescent repensait à elle, quand il revoyait, dans ses souvenirs enfouis, son visage, ses yeux, son corps, son sourire. Le monde lui avait arraché la seule personne qui l'aurait défendu jusqu'à la fin, avec bec et ongles ! La seule personne qui l'aimait véritablement, dans cet Enfer ! Axel soupira, n'arrivant même plus à pleurer pour essayer de soulager ses blessures intérieures.

Il eut la force de se lever, il regarda à travers une vitre brisée : la Ville était déserte. Pouvait-il en profiter pour aller se recueillir sur les tombes de ses amis défunts, afin de leur dire à quel point il était désolé ? Le Destroya fixa la rue principale, un long moment...

Puis, il sortit du train et se dirigea vers le cimetière, dans la nuit glaciale qui régnait en maître dans la Zone Fantôme. Axel erra dans les ruelles, âme en peine et isolée de tous, seulement guidé par son instinct et par son désir de retrouver les siens.

Mais il ignorait qu'il allait s'en mordre les doigts.


Arrivé devant le portillon du cimetière, Axel remarqua qu'il était déjà ouvert. Il ravala sa salive, priant ne tomber sur personne, ce soir-là.

Il voulait juste être seul.

L'adolescent pénétra dans le cimetière, mais se figea soudainement. Une silhouette se formait, agenouillée, retirant de la terre qui couvrait une tombe... celle où Mila reposait en paix ! Une colère noire le heurta, Axel ne pouvait pas laisser cet inconnu profaner le lieu où son amie défunte dormait pour l'éternité !

Avec horreur, il vit cette personne encapuchonnée sortir le cadavre de la Destroya sans tête de son tombeau de terre. L'adolescent voulait lui hurler de cesser cela tout de suite, qu'il allait le regretter, pourtant il n'arriva pas à articuler le moindre mot. Il fut paralysé par la haine et l'effroi, spectateur de quelque chose qu'il ne pourrait jamais oublier. Il pouvait bien arrêter le temps et attaquer l'inconnu par surprise, mais Axel était piégé par des émotions qui l'empêchaient de faire quoi que ce soit.

- Pauvre fille, soupira une voix. Enfin... c'est la vie ! Mais, ne t'inquiète pas, Mila. Même morte, tu seras utile. Tu me seras utile.

Axel pouvait reconnaître cette voix parmi des centaines de milliers d'autres. Bouche bée, yeux écarquillés, le choc l'étranglait. Non... ça ne pouvait pas être...

- Qu'on en finisse, lança Baptiste au cadavre de la Destroya. De toute façon, tu ne sentiras rien, c'est à moi de faire le sale boulot.

Leur chef lâcha un rire sombre avant de sortir un couteau de sa veste. Axel crut qu'il faisait un cauchemar, que tout cela n'était qu'un mauvais tour de Baraka, pourtant c'était bel et bien réel. Baptiste releva le haut du cadavre, jusqu'à dévoiler son ventre, puis approcha la lame de son couteau du nombril de Mila.

L'adolescent vit alors son amie se faire éventrer devant ses yeux, impuissant, immobile, traumatisé. Son sang coula sur le sol sec du cimetière et éclaboussa tout ce qu'il y avait autour du cadavre, Axel sentit ses jambes se dérober sous lui. Baptiste enfonça son poignard plus profondément dans le ventre de Mila, les mains sanglantes et le regard impassible.

Soudain, il sortit puis lâcha son couteau, tâchant sur son passage ses vêtements. Mais Baptiste s'en fichait, il se croyait seul, dans ce sinistre endroit... il regarda ses mains avant de soupirer.

- Allez, se dit-il à lui-même, une fois de plus, une fois de moins, qu'importe. Si je fais ça...

Un autre rire sombre s'échappa de sa gorge.

- Ce n'est pas pour être encore plus redoutable ?

Ses yeux se concentrèrent sur le cadavre de Mila. Ses entrailles sortaient de son ventre, Baptiste commença alors à mettre ses mains dans ce carcan de chair et de boyaux. Dans un bruit ignoble, leur chef semblait fouiller l'intégralité de son corps comme si quelque chose de précieux s'y trouvait... mais quoi ? La chose la plus irremplaçable qui se trouvait dans le corps d'une personne était son âme, mais celle de Mila était déjà loin de cet Enfer qu'était devenue la Terre !

- Ah, le voilà, remarqua Baptiste qui avait toujours les mains entre les boyaux de Mila. Parfait.

Il tira brutalement, un jet de sang surgit du ventre de la défunte. Baptiste contempla alors ce qu'il avait volé au corps de Mila, c'est-à-dire quelque chose qui ressemblait fortement à un organe.

Il avait la taille d'une pomme et une couleur sombre de sang. Baptiste l'approcha de sa bouche, il fit un rictus mauvais en reniflant sa trouvaille.

- Tu sais, Mila, continua-t-il en s'adressant à la défunte, j'ai toujours trouvé ton pouvoir incroyable. Oh, pas au point d'en être jaloux, je te rassure, mais... il sera dans de meilleures mains que dans les tiennes, à présent. Dans les miennes.

C'est à ce moment-là qu'Axel comprit qu'il n'aurait jamais dû voir ça de sa vie de Destroya. Il vit alors leur chef déchirer l'organe avec ses dents, du sang coula de sa bouche et sur ses doigts déjà repeints de ce rouge macabre. Baptiste mastiqua ce qu'il avait dans la bouche avant de l'avaler, puis croqua de nouveau dans sa trouvaille. Il fit une mine de dégoût avant de rétorquer :

- J'ai beau y être habitué, ça aurait toujours ce même goût de merde dans ma bouche. Ah...

Sans se retourner, leur chef fit d'une voix étrangement sereine, comme si rien ne se passait :

- Je sais que tu es là, Axel. Si j'étais toi, je me casserais vite. Je suppose que tu ne veux pas subir le même sort, non ?

Terrifié, le sang glacé, le cœur paniqué, l'adolescent ne sut pas quoi faire. Le prendre en assaut et le tuer sur-le-champ, mais surtout mettre sa propre vie en péril ? Fuir comme un lâche ? Avertir les autres qui le détestaient et qui le prendraient certainement pour un fou ? À part...

- Dois-je te le répéter ? demanda Baptiste, de ce même ton, en le fixant de ses yeux bleu-gris de tempête, après avoir retiré du sang qui se trouvait au coin de sa bouche. Pars d'ici, et vite. Maintenant. Du vent !

Le Destroya qui pouvait arrêter le temps recula, le regard rivé sur son chef, la respiration bien trop irrégulière. Il traversa le portillon, virevolta et déguerpit en courant. Les larmes aux yeux, il s'arrêta dans une maigre ruelle, derrière une poubelle, puis se courba en avant. Une main sur le mur froid de briques pour ne pas chuter, Axel ne put s'empêcher de vomir, dégoûté, chamboulé, horrifié.

Les jambes tremblantes, il n'eut même pas la force de courir, de fuir la macabre réalité. L'adolescent s'arrêta enfin de régurgiter, son dos rencontra l'autre mur qui délimitait la ruelle, il se laissa glisser au sol.

- Un cauchemar, se répéta Axel pour essayer de se calmer, le cœur prêt à exploser, c'est qu'un cauchemar, c'est rien, c'est rien...

Il perdit connaissance, à la proie du froid et de leur chef qui pouvait chercher à l'éliminer pour ce qu'il avait vu.

DESTROYAS III : War is the AnswerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant