Koryan (Chapitre 2)

110 19 0
                                    

Il arrive à certains moments de notre vie que nous voyons repasser tous nos souvenirs en un instant. Ce fut exactement l'impression que ressentit Koryan sur le moment.

Comment décrire cette sensation ? Ses vêtements collaient à sa peau, le soleil tapait sur le toit de taule du hangars, la chaleur était écrasante, mais il ne pensait plus à rien de particulier.

Il se revoyait juste à cinq ans riant avec son frère et sa sœur dans le parc du palais où ils avaient grandis, dégringolant les escaliers, rattrapé de justesse par son aîné avant de se faire vraiment mal, soutenu par lui à chaque instant. Toujours ses rares sourires, mais si présent pour lui...

Jamais encore jusqu'à présent il n'avait imaginé une seule seconde qu'il puisse choisir de le mettre en danger pour le pouvoir.

S'il devait être le garde de son cousin, et que celui-ci mourait, l'empereur n'hésiterait pas un instant. Mais Erwan serait bel et bien son héritier alors...

Une douleur telle que Koryan n'en avait jamais connue lui traversa le coeur, le brûlant et le ravageant de l'intérieur.

— Erwan...

Mais celui-ci fit alors un geste totalement inattendu chez lui : il se détacha du pilier pour brusquement s'avancer et prendre son frère dans ses bras, le serrant contre lui d'une étreinte fraternelle. Koryan sentit son parfum légèrement musqué, ses mains dans son dos, et entendit sa voix éraillée.

— Arrête de raconter n'importe quoi petit frère. On va trouver une solution à tout ceci, mais ce qui est sûr c'est qu'on ne sacrifiera personne. Tâche juste de rendre la vie impossible à notre cousin pendant les quatre mois du voyage, tant qu'à faire...

Quelque chose se dénoua dans la gorge du jeune homme, dans tout son être, et il ressentit une violente envie de pleurer de soulagement qui le rendit honteux. Mais il aimait son frère, sa famille, et l'imaginer le trahir aurait été pire que tout.

— Merci... Merci beaucoup. Bien sûr, il va amèrement regretter son choix cet imbécile ! répondit-il d'une voix brisée par une joie qu'il ne parvenait pas à réprimer.

Le frère de Koryan s'écarta ensuite de lui, et le jeune homme vit que son regard brillait à lui aussi. Lorsqu'il baissa les yeux, il remarqua qu'il avait serré les poings, et cela intrigua le prince. Erwan était-il tendu ? Mais, alors qu'il voulait l'interroger, un soudain changement dans l'attitude d'Erwan l'interpella et il se retourna. Un autre soldat au même uniforme que le sien était en train de se frayer un passage à travers la foule dense et entre les tables rapidement installées autour desquelles les soldats majoritairement et quelques civils étaient rassemblés en train de boire. La sécurité de l'empereur lors de son voyage devait être maximale.

Koryan se tendit instinctivement lorsque l'homme arriva à son niveau et le dévisagea un instant. Blond, courte moustache et la trentaine, il ressemblait à tout homme lambada que l'on ne remarque jamais. Il s'inclina profondément, plus pour son frère que pour lui semblait-il, avant de se redresser en prenant la parole, les observant tour à tour :

— Prince Koryan, son altesse Aldéric m'envoie vous remettre un nouvel ordre de mission.

Le jeune homme ne répondit rien, car ils savaient tous deux qu'il ne pouvait répondre que par l'acceptation de l'ordre de toutes les manières. Il releva son poignet droit, cliqua sur son écran, puis répondit sans regarder le soldat :

— Je viens de vous débloquer l'accès de mes données. Vous pouvez m'envoyez l'ordre de mission ?

À vrai dire il ne l'avait pas attendu et pianotait lui aussi sur l'écran de son poignet. Koryan reçu quelques secondes plus tard une nouvelle pièce jointe et dû s'y reprendre à deux fois tant ses mains étaient moites pour parvenir à l'ouvrir.

Bon sang, mais pourquoi, pourquoi avait-il fallu que l'héritier soupçonne quelque  chose ? Parce que ce ne pouvait être que cela...

La gorge desséchée, Koryan survola rapidement les quelques lignes de l'ordre de mission. Son frère se pencha par dessus son épaule pour lire lui aussi, ce qui mit le jeune homme étrangement mal à l'aise avant qu'il ne se raisonne. Il avait eu tort de penser qu'Erwan pourrait le sacrifier, et il n'allait pas lui cacher ces informations.

Ordre de rejoindre avant quatorze heures de la journée du 11 août trois-mille sept-cents quatre vingt quatre l'appareil spatial Noblesse-32 pour un embarquement immédiat avec rôle de garde du corps de son altesse le prince Aldéric Astra.

Koryan jeta un coup d'œil aux tampons sur le document et aux signatures, désespéré, mais tout était parfaitement en ordre. Il releva les yeux vers le soldat qui attendait toujours patiemment devant lui, au cas où il aurait malgré tout quelque chose à ajouter, et hocha la tête pour toute réponse. Il n'allait quand même pas lui dire que cet ordre le désespérait parce qu'il empêchait l'assassinat de mon cousin !

Le garde s'inclina de nouveau sans sourire. Les deux princes n'étaient pas vraiment apprécié par la population, sans doute leur sale réputation...

— Bien Altesse. Je vous souhaite un bon voyage.

Il se redressa, fit demi tour rapidement et disparu de nouveau à travers la foule. Koryan cliqua d'un geste rageur sur son écran pour renvoyer la pièce jointe dans ses données.

— Tu avais raison Erwan comme toujours...

Un léger vibreur agita alors son poignet et il baissa la tête vers la surface de verre. La pièce jointe s'était automatiquement mise en mode rappel et l'informait qu'il n'avait plus que cinq minutes pour rejoindre à temps la zone d'embarquement indiquée.

Le jeune homme jeta un coup d'œil à l'heure et laissa échapper un grognement rageur. Il était quatorze heure moins cinq, et il n'avait pas prévu de devoir partir si tôt. D'un autre côté, c'était peut être la première bonne nouvelle de la journée, car il ne supportait soudain plus l'idée de rester coincée dans cette foule suante et suffocante.

Koryan releva la tête vers son frère, mais celui-ci se tenait un peu en retrait dans l'ombre, lui cachant ses traits.

— Erwan... Je crois que c'est le moment de nous dire au revoir. À dans quatre mois à la fin du voyage, embrasse les parents pour moi.

Dans le plan initial son frère devait embarquer avec eux. Il ignorait si c'était encore le cas mais quelque chose le retint de demander et il se détourna, le coeur au bord des lèvres devant le manque de réactivité de mon aîné. Koryan aurait aimé qu'il cède de nouveau à l'émotion, mais cela semblait passé chez lui.

Erwan ne fit pas un geste pour le retenir lorsqu'il s'enfonça dans la foule à son tour, en direction du vaisseau spatial qu'il devait désormais joindre.

Un éclair de colère traversa de nouveau le jeune homme à cette pensée et s'il n'y avait pas eu tant de personnes autour de lui, Koryan se serait retourné vers son frère pour lui affirmer de nouveau que ce stupide héritier allait regretter son choix, vraiment, et qu'il ne le ferait pas deux fois.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant