Koryan (Chapitre 3)

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Lorsqu'il entra dans l'appareil, la première chose qui surprit le prince fut l'absence de soldats. Le vaisseau était petit mais pour l'héritier de l'empereur il aurait tout de même pu y en avoir au moins une dizaine... Et pourtant il était absolument seul après avoir laissé les gardes au bas de la passerelle.

Après s'être légèrement penché pour ne pas se cogner au chambranle de la porte métallique, Koryan se redressa et jeta un coup d'œil autour de lui. Toujours la même absence de personnes... La pièce paraissait rustique avec l'armature métallique de l'appareil partout visible, et une couche de poussière et de sable couvrait le sol, opposée aux vaisseaux toujours impeccables de la garnison.

— Hello... Il y a quelqu'un ?

Un pas se fit entendre dans le couloir juste en face du jeune homme et il se tendit, appréhendant la rencontre avec son cousin. Etait-ce lui d'ailleurs ou enfin un autre soldat ?

C'était bien lui. La silhouette qui se détachait de l'ombre pouvait se caractériser par ses longs cheveux blancs et son regard rouge et incisif. Koryan tressaillit lorsque son cousin s'immobilisa devant lui et retint difficilement un mouvement de recul.

Il était musclé, grand, de la même taille que lui à peu près. Ses cheveux tombaient plus bas que ses reins, longs, impeccablement lisses comme ceux d'une femme. C'était cependant son visage qui arrêtait le regard. Le jeune albinos avait des traits fins, mais son regard dur et sombre amenait le visiteur à se tenir instinctivement sur ses gardes.

L'héritier croisa les bras sur sa poitrine, dévisageant à son tour sans daigner sourire son cousin. Koryan détesta immédiatement la peur diffuse qui se répandait en lui sous le feu de ces pupilles rougeoyantes, et il s'efforça de redresser la tête, conservant un air de pure provocation.

A la main gauche d'Aldéric brillait une chevalière en or, gravée du blason des Astra, surmontée d'une tête de loup couronnée.

En baissant les yeux sur sa propre main, Koryan retint un juron : il avait exactement la même, et il aurait bien voulu se passer de toutes ces similitudes entre eux.

Lorsqu'il releva la tête et croisa de nouveau le regard de l'héritier, il comprit immédiatement que l'autre le haïssait. C'était visible à la flamme de haine qui avait brillé pendant un instant dans ses prunelles lorsqu'il avait baissé sa garde, ne se sentant plus observé.

— Salut... Vous m'avez fait demander à votre service, lâcha Koryan froidement après une hésitation.

Son cousin le toisa de bas en haut, longuement, avant d'hocher la tête sans autre réponse.

Il se détourna ensuite silencieusement pour repartir dans le couloir comme il était venu : méprisant et sans un mot.

Koryan sentit sa colère et son ressentiment augmenter encore, ce qu'il ne croyait pas possible.

— Attendez ! Altesse ! J'ai le droit de savoir pour quelle raison vous m'avez fait venir !

Aldéric l'ignora royalement – c'était le cas de le dire – et Koryan se sentit obligé de le suivre, seul moyen de tenter d'avoir des explications.

Le couloir qu'il traversa était tout aussi sale, les casiers de rangement ouverts et débordant de matériel de bricolage de secours qui paraissait être régulièrement utilisé.

Koryan se sentait de moins en moins à l'aise, mais il accéléra le pas pour ne pas se laisser distancer par Aldéric.

Ils finirent par arriver dans la salle de pilotage et le prince se sentit déstabilisé : ici encore il n'y avait aucun personnel, pas même un pilote.

Aldéric s'approcha du premier siège devant le tableau de bord, face à l'immense baie vitrée renforcée, avant de désigner de son doigt pâle l'autre juste à côté de lui à Koryan.

— Non, grogna celui-ci. Je n'ai pas le choix de vous obéir, mais je ne ferai pas un voyage stellaire de plus de quatre mois aux côtés de quelqu'un qui ne m'explique même pas ce que je dois faire ou la raison de ma venue !

Son cœur battait la chamade en disant cela, et il tressaillit en devinant les muscles d'Aldéric se tendre sous son veston élégant.

Il y eut un pesant silence pendant lequel Koryan s'agita sur place, extrêmement mal à l'aise. L'empereur était réputé exécuter la moindre personne lui manquant de respect... Aldéric n'avait qu'à le dénoncer pour que son oncle réagisse, estimant qu'invectiver son héritier revenait à l'attaquer lui même.

Le jeune homme en question ne fit rien de tel cependant, dédaignant son écran portable pour faire pivoter manuellement son siège en cuir élimé pour se retrouver de nouveau face à face avec Koryan. Celui ci se sentit de nouveau jugé, mais resta parfaitement stoïque, le foudroyant des yeux en attendant une réponse.

Sa colère était trop grande, et submergeait toutes ses véléités de prudence qu'il aurait eu autrement.

— Cousin, vous êtes ici avec moi parce que je tiens à faire le maximum pour rester en vie durant ce voyage. Vous soustraire à nos oncles devrait les embêter pendant au moins une semaine, et cela fait toujours quelques jours de répit durant lesquels ils n'essaieront plus de me tuer. Pour ce que vous devez faire, cela m'est égal, je n'ai pas réellement besoin de vous. Pilotez avec moi ou restez dans votre cabine à l'arrière, tant que vous ne perturbez pas la bonne marche de ce vaisseau, le reste m'est égal.

Koryan ne s'attendait pas à une telle diatribe et resta quelques secondes sans voix. Les deux hommes se fixaient, hargneux, et un rien aurait pu les faire en venir aux poings.

Sa famille ne leur laisserait pas seulement une semaine de répit... ils ne toucheraient pas au vaisseau si lui même s'y trouvait, Koryan en était maintenant certain.

La panique provoquée par les paroles qu'il venait d'entendre aidait pourtant le jeune homme à se ressaisir et à conserver un minimum de sang-froid.

— Vous... Vous racontez n'importe quoi. Personne ne peut oser monter un complot contre vous...

Le regard d'Aldéric se fit plus froid encore si c'était possible.

— Je déteste les personnes prêtes à tout pour un peu de pouvoir... Mais je hais encore plus ceux qui ne sont même pas capable d'assumer leurs actions.

Il fit ensuite pivoter résolument son siège, sans attendre de réponse de Koryan qui ne savait plus quoi dire. Il n'allait quand même pas dénoncer ses oncles dans un sursaut de colère ! Aldéric avait peut être deviné, mais tant qu'il ne parlerait pas, il ne disposerait d'aucune preuve pour les attaquer devant l'empereur.

Fort de cette certitude, il parvint à s'avancer et se laissa tomber à contrecœur sur le seul autre siège disponible de la pièce.

— Vous n'avez pas de pilote ? questionna-t-il, changeant volontairement de sujet.

— Non, répondit simplement Aldéric tout en réglant la lunette d'observation à la hauteur de ses yeux.

Il s'agissait d'une petite vitre sur pied sur laquelle s'affichait des milliers de données sur le paysage spatial vu à travers celle ci et la vitre derrière.

Koryan entreprit de régler la sienne, songeant que ses cours à l'académie allaient lui servir, lui qui d'ordinaire avait toujours au moins une dizaine d'hommes ou robots à son service.

— Pour quelle raison n'avez vous personne avec vous ?

Aldéric cessa de régler sa lunette pour tourner la tête vers lui, un sourire cynique aux lèvres.

— C'est évident non ? Ils pourraient tous faire partie de votre complot... Je ne sais jamais en qui je peux avoir confiance. Au moins, avec vous, cher cousin, je sais pertinemment que je ne peux pas. Ça permet de rester lucide et éveillé, et cela évite d'être surpris d'une trahison...

Koryan avait beau le haïr de toutes ses forces, il sentit quelque chose s'émouvoir en lui lorsqu'il se rendit compte qu'une réelle douleur perçait dans les dernières paroles d'Aldéric. Celui ci se reprit très vite cependant.

— Bien. J'ose espérer que quatre mois de voyage ensemble ne nous serons pas trop pénible.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant