Koryan (Chapitre 13)

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— On n'est pas suffisamment rapide pour lui échapper ! cria malgré lui Koryan.

La vue du vaisseau de guerre juste derrière eux, visible sur les écrans de contrôle, ne le rassurait pas. Malgré tout, il était déjà en train de chercher une solution et d'essayer de comprendre.

— Qui nous poursuit ?

Aldéric avait rapproché son siège des commandes de leur appareil et était en train de basculer en mode manuel pour reprendre le contrôle du vaisseau. Il arborait un visage fermé, des mâchoires dures, ses fins sourcils fins froncés sous la concentration.

— Probablement votre père, ou oncle Ferdinand. Enfin, je doute qu'ils soient dans l'appareil, mais ils ont dû envoyer leurs sbires. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'ils nous aient retrouvés si vite...

Koryan s'apprêtait à répliquer mais se contint, conscient que chaque seconde comptait à cet instant.

— Disons un mercenaire à la solde d'un de vos ennemis, lâcha-t-il entre ses dents serrées. Quoi que vous en pensiez, mes parents ne risqueraient pas ma vie, si encore ils faisaient réellement parti d'un complot contre vous. Qu'est ce que vous proposez pour échapper à ce vaisseau ? Si je ne me trompe pas, il sera sur nous d'ici une quinzaine de minutes.

Aldéric ne détourna pas une seconde les yeux des écrans de bord, augmentant à fond d'une poussée sur un levier la vitesse de leur vaisseau.

— Ça nous laisse dix minutes de plus de répit, commença-t-il à exposer.

Il se retourna ensuite pour vriller ses prunelles rouges qui paraissaient éternellement en feu dans celles de Koryan.

— J'ai mis le cap sur la planète la plus proche car à ce rythme nous n'aurons jamais assez de carburant pour tenir. Malgré tout il va nous falloir encore cinq heures pour atteindre Egrabe, même à pleine puissance et à vitesse supra-luminique. Le vaisseau derrière nous aura tout le loisir de nous atteindre... Il va falloir qu'on contre-attaque.

— Vous... Vous plaisantez ? fut tout ce que parvint à répondre Koryan, sous le choc.

Son compagnon de voyage se leva sans mot dire après avoir réenclenché momentanément le pilote automatique sur le trajet nouvellement programmé.

— Vous voyez une autre possibilité ? Allez-y, je suis preneur, riposta-t-il en haussant les épaules. Bougez vous, les armures légères sont dans les caissons du couloir, en cas de choc ça pourrait nous sauver la vie.

— Je sais ce que sont des armures de titane allégé.

Koryan était au bord de l'exaspération la plus totale, en plus d'être furieux de sentir chez son ennemi un tel calme alors que lui même avait du mal à contenir sa peur. Il avait beau être soldat, il n'était jamais agréable de se sentir brusquement en danger.

Il suivit néanmoins son cousin dans le couloir, n'ayant effectivement rien de mieux à faire, et celui ci débloqua l'un des placards muraux pour en sortir rapidement de fines combinaisons qui s'enfilaient sous les vêtements à même la peau, parfaitement flexibles et pourvues de micro-systèmes de refroidissement permettant de ne pas étouffer sous la chaleur.

Dans l'urgence de la situation ils se changèrent rapidement avec des gestes d'habitués qui dénotaient chez eux le même entraînement. Koryan s'en fit la réflexion en terminant dans un temps record de remettre en place sa chemise d'uniforme, mais encore quelques secondes après Aldéric.

— Vous m'avez battu en combat singulier et maintenant nous mettez en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire une armure en titane allégé... Vous n'êtes pas seulement allé à l'académie, un militaire vous a entraîné.

Un nuage sombre traversa le regard de l'héritier, accentuant la sourde tristesse alliée à l'air de nostalgie qui ne le quittait jamais tout à fait.

— En effet. Je vous ai déjà dit que ce n'était pas l'empereur qui m'avait pris en charge à mon arrivée au palais... Mais l'un de ses hauts commandants militaires, Ophuls. Il m'a transmis tout son savoir, et je le considère aujourd'hui comme faisant bien plus partie de ma famille que vous tous.

Un éclair de jalousie traversa Koryan, même s'il s'efforça de n'en rien laisser paraître, à l'idée que son cousin ait pu côtoyer ce genre d'hommes qui l'avaient impressionné toute son enfance. Il suivit Aldéric qui retournait déjà à grandes enjambées vers la salle de commande.

— Ophuls est aujourd'hui le commandant en chef de toutes les armées astrayennes de la galaxie... Et vous avez été élevée par cette légende militaire ! Pas étonnant que vous m'ayez battu, acheva-t-il avec mauvaise humeur.

L'héritier alla se rasseoir dans son siège, de nouveau neutre comme à l'accoutumée.

— Ophuls n'entraîne que les élèves chez qui il estime qu'il y a du potentiel. Je suppose que j'en faisais parti.

Sans laisser à Koryan le temps de répondre, il remonta les longues manches de sa tunique et reprit le contrôle des commandes.

Le vaisseau de guerre était maintenant à vingt-et-une minute de les rattraper, d'après les appareils de bord. Koryan avait dominé sa peur, comme chaque fois lorsque le danger se rapprochait réellement, et il vint s'installer dans son propre fauteuil, désactivant son propre pilote automatique.

— Je vais vous aider pour les manoeuvres.

Son cousin ne répondit rien mais hocha simplement la tête. Koryan songea que rien n'était plus pénible que de devoir reconnaître, même dans ce domaine, l'indéniable supériorité de l'héritier.

C'est alors qu'en se tournant vers lui il remarqua ses poignets, rendus apparents par ses manches relevés.

Ils étaient striés de deux cicatrices blanchâtres de chaque côté et le jeune homme resta stupéfait, oubliant pendant quelques secondes la situation dans laquelle ils se trouvaient.

— Vous... Vous avez fait des tentatives de suicide ?

Heurter les sentiments d'Aldéric ne lui importait pas, et il voulait voir sa réaction. Si c'était la vérité, c'était complètement fou. L'homme qu'ils avaient tenté avec sa famille d'éradiquer depuis des années avait voulu mourir mais n'y avait pas réussi ! Cela signifiait ou une chance extraordinaire ou une malchance incommensurable, selon les points de vue.

Aldéric rabaissa d'un geste vif ses manches, mais sans laisser paraître son émotion. Seule le léger tremblement de sa main gauche sur l'un des leviers indiqua qu'il était touché, et Koryan en conçu une joie pleine de ressentiment en attendant sa réponse.

— Effectivement. À treize et quinze ans, mais Ophuls m'a sauvé la vie de justesse les deux fois. J'en avais assez de vivre avec la pensée que ma mère était peut être quelque part en train d'être torturée alors que tout le monde pensait qu'elle était morte, et...

— Et ? l'encouragea Koryan, oubliant de mettre du fiel dans sa voix.

La souffrance réelle de son cousin le touchait malgré lui, une fois encore, car il était incapable malgré sa dureté d'être totalement indifférent au malheur des autres.

Aldéric tourna brièvement la tête vers lui.

— Je n'en pouvais plus d'avoir peur. Je vivais dans un état perpétuel de panique, ayant déjà survécu à trois attentats. C'était usant, insupportable, et cela faisait peser sur mon existence un poids que je ne supportais plus.

Koryan ne trouva d'abord rien à répondre et lorsqu'il voulu lui demander, sans savoir pourquoi, la raison pour laquelle il n'avait pas fait de troisième tentative mais continué de vivre, son cousin clôtura la conversation d'un ton définitif.

— J'ai choisis de n'avoir pas recours aux soins d'esthétique. Garder ces cicatrices me permet de ne pas oublier mes erreurs de jeunesse, et le fait que je suis toujours au bord d'un gouffre duquel je dois tout faire pour m'éloigner. Mais ce n'est pas le moment, le vaisseau qui nous poursuit n'est plus qu'à quinze minutes de nous... Je vais tenter au cas où de les contacter, même si je ne crois pas qu'ils soient là par hasard.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant