Erwan (Chapitre 21)

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Craaaaac...

— Ahhh ! Seigneur Tancrède, leur vaisseau vient de détruire...

La communication se coupa brusquement et le frère de l'empereur poussa un juron devant son fils. Erwan, sa mère et lui, se trouvaient dans la petite salle de télé-communication de leur énorme vaisseau de voyage, luxueux et pourvu de multiples domestiques, aussi bien robots qu'humains.

Un cercle au centre de la pièce permettait de recevoir une image de la meilleure qualité possible pour les conversations par hologramme, et la disparition brusque de celle du soldat Nankin, l'un de leurs hommes les plus solides et dans leur famille depuis dix ans, les stupéfia tous.

Myriam Astra fut la première à se ressaisir.

— Ils étaient sur le point de détruire le vaisseau de l'héritier ! Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? Erwan, tente de rétablir la liaison, Tancrède, il faut qu'on réfléchisse à un autre angle d'attaque si le vaisseau que nous leur avons envoyé est vraiment hors circuit...

Erwan n'attendit pas pour obéir. Tout le mur face à la porte d'entrée de la pièce grise sans fenêtres était couvert d'appareils électroniques et il en maîtrisait parfaitement l'usage. Il rejoignit les différents écrans et appuya sur de multiples touches, visionnant certaines données sur son écran de poignet ou en vision directe oculaire, s'affichant dans l'air devant lui. Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour comprendre que la situation n'avait pas tourné à leur avantage, ce qui le mît dans une colère noire bien qu'il s'efforça de ne pas le montrer.

— Impossible de rétablir le contact avec notre vaisseau... Et surtout toutes les puces implantées de nos soldats qui se trouvaient à l'intérieur indiquent des paramètres vitaux nuls. Visiblement, ils viennent de mourir...

Il n'y avait aucune émotion dans sa voix, et du reste aucun de ses deux parents ne parut choqué non plus. Ils n'avaient pas besoin de faire semblant d'être touché de la perte de certains de leurs hommes, car cette pièce était peut être la seule de l'énorme vaisseau totalement sécurisée où ils n'avaient à craindre aucun espion ou oreille indiscrète.

— Quant aux informations délivrées par celle de Koryan... Elles indiquent un très fort taux d'adrénaline, mais pas la moindre blessure. Visiblement, et bien que cela paraisse totalement improbable, le vaisseau de notre cousin a réussi à détruire celui que nous leur avions envoyé...

Myriam poussa un soupir exaspéré. Ses cheveux étaient rassemblés en queue de cheval, et elle avait revêtu le matin un pantalon moulant et une veste élégante, de la même couleur que ses chaussures beiges à léger talons.

— De toute façon nous ne nous attendions pas à réussir du premier coup lors de ce voyage de quatre mois... N'oublions pas que nous avons dû subir beaucoup d'imprévus.

Personne ne parlait de Koryan. La présence du jeune homme était presque palpable, et Erwan sentit son coeur se serrer dans sa poitrine. Il croisa le regard de son père, et devina que leurs sentiments étaient exactement les mêmes.

Un inavouable soulagement à l'idée qu'il s'en soit sorti, mais une inébranlable résolution intacte. Erwan voulait le pouvoir depuis toujours, et il était prêt pour cela à sacrifier n'importe qui, sauf peut-être ses parents envers qui il éprouvait un amour plus fort que son ambition. Mais ni Alyana ni Koryan – quoi qu'un peu plus ce dernier – ne lui avaient jamais inspiré le même genre de sentiment.

Il tourna la tête vers sa mère, stoïque et immobile, très pâle, mais ne put croiser son regard. De toute manière, il savait d'avance comment il serait : insondable, comme toujours. Ce n'était pas pour rien qu'elle dirigeait le service d'espionnage le meilleur de la galaxie... Au fond, elle aurait pu faire une excellente espionne elle aussi, et Erwan ne parvenait que très rarement à percevoir ses émotions ou à totalement la comprendre.

Le jeune homme se concentra de nouveau sur les écrans de contrôle, pour se focaliser sur le trajet que suivait Koryan, et donc cet héritier qui avait réussi à survivre toutes ces dernières années.

— Je pense qu'ils se dirigent vers Egrabe... C'est la planète la plus proche sur leur trajectoire, et ils ont sacrément accéléré pour tenter de semer notre vaisseau. Ils doivent reprendre du carburant... Et si j'étais Aldéric, je ne me poserai pas sur une station orbitale – à moins que ce soit celles du Vatican, et encore. Celles de commerce sont trop mal fréquentées pour être sûres.

Tancrède tiqua mais admit le raisonnement. Il se tenait au milieu de la pièce, droit et mains dans les poches de son costume hors de prix le mettant parfaitement en valeur. Il rappelait à la fois l'homme d'affaire sans foi ni loi, le militaire en civil, ou simplement l'aventurier dangereux, près à tout pour accomplir son but.

Erwan savait qu'il n'aimait pas l'entendre se mettre à la place de celui qu'ils projetaient de tuer, mais c'était une habitude que le jeune homme n'entendait pas abandonner. C'était presque ironique d'avoir passé tant d'années à essayer de se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre pour le comprendre, dans l'unique but de le rayer de la surface de la galaxie.

— Je pense que tu as raison... Myriam, tu pourras avoir des renseignements une fois qu'ils auront atterris ?

Elle parut choquée qu'il puisse même douter du fait qu'elle en ait.

— Bien sûr. Mais j'aurais préféré qu'ils aillent ailleurs qu'en Egrabe... Si aucune opportunité ne se présente, ça va être difficile d'atteindre Egrabe là bas. Antoine est le seul de tes frères à ne pas nous soutenir, et je ne doute pas qu'il tentera d'assurer la protection de l'héritier au maximum.

Un éclair de colère illumina le visage de Tancrède à la mention de son frère. Erwan connaissait depuis des années la haine qui existait entre eux, liée notamment à une vielle histoire concernant Danaé, la sœur aînée et seule fille de la grande impératrice, mère de l'actuel dirigeant.

Au fond, le drame de Danaé avait été d'être la seule fille d'une famille de onze enfants, et l'unique personne foncièrement généreuse et heureuse de répandre le bonheur autour d'elle.

Elle était aimée de tous, adorée même par certains de ses frères. La voir se marier avait déplu à beaucoup, et particulièrement à l'aîné, l'empereur, et Tancrède.

Erwan trouvait parfois stupéfiant de se rendre compte de la facilité avec laquelle son père avait basculé de l'amour fraternel le plus absolu à la haine.

Lorsque sa sœur lui avait présenté celui qu'elle voulait épouser – un mutant faible, sans véritable avenir ni grand nom –, il avait été furieux. Comment pouvait elle choisir un homme si peu à la hauteur ?

Elle avait été blessée, ne s'attendant pas à ce violent rejet. Tancrède avait alors lâché du haut de sa superbe qu'elle devait choisir entre son imbécile de fiancé et sa famille, car il comptait bien aligner ses frères sur sa position.

Cela paraissait si simple... Mais Danaé pouvait se montrer encore plus têtue que l'empereur rouge ou Tancrède. Elle s'était mariée, puis avait quitté la capitale quelques années plus tard avec son fils, un curieux enfant albinos.

Le seul à l'avoir toujours soutenue avait été Antoine. Le mettre au ban de la famille lui aussi n'avait pas été très difficile au plus puissants des princes d'Astra, ayant obtenu des années auparavant déjà la gouvernance de la riche planète AM.Erica, province de l'empire.

Tancrède ramena Erwan au présent en reprenant la parole, avec un sourire aussi froid que son âme, devenue glacée après sa dispute avec Danaé.

— Après tout... Qu'ils se posent sur Egrabe. Ça nous permettra peut être de maintenir Koryan en dehors de ça... Et si mon frère s'interpose, ma foi, cela fait des années que je rêve de lui régler son compte.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant