À travers la peine et la détresse qui déferlaient en lui, le jeune homme parvenait encore malgré tout à raisonner. Il avait dû s'habituer à l'idée d'avoir perdu sa sœur ces derniers mois.
Lorsqu'il releva la tête vers Aldéric, une pensée soudaine le fit oublier sa peur et ses émotions pour lancer avec brusquerie :
— Vous semblez savoir beaucoup de choses sur moi... Vous connaissez le prénom de ma sœur.
— Bien sûr, il vaut mieux en savoir un minimum sur nos ennemis. Je connais le prénom de tous mes cousins contrairement à vous j'en suis sûr, même si je n'apprécie que les enfants de notre oncle Antoine.
Koryan ne releva pas le ton méprisant de l'héritier. Bien sûr qu'il avait raison. Avec neuf oncles, les enfants étaient nombreux... et il ne s'était jamais donné la peine de tous les connaître bien qu'il en côtoya une grande partie. Et comme c'était ironique ! La seule famille que son père et sa mère avaient toujours refusé de voir était justement son oncle Antoine, traité en paria par tous. Seul l'empereur lui conservait son amitié, et visiblement Aldéric...
Il faut dire que malgré toutes les tentatives de Tancrède et Myriam Astra, ses parents, cet homme avait toujours catégoriquement refusé de prendre part à un complot, s'engageant même à soutenir l'empereur.
Depuis ses cinq ans Koryan le haïssait, n'ayant jamais entendu dire que du mal de ce prince qui vivait comme un paysan sur Egrabe, élevant à peine ses désagréables enfants et ayant épousé une mutante aux pouvoirs ridicules.
Elle avait simplement la capacité de communiquer mentalement. Ses parents, des nouveaux riches, avaient payé des millions un chirurgien à sa naissance pour que l'on change son génome et qu'elle puisse plus tard grimper dans la hiérarchie des tours. Une opération qui ne fonctionnait qu'avant les trois ans d'un enfant... Quant à chercher à devenir un mutant-loup, cela pouvait demander des milliards, et le nombre de personne pouvant se le permettre était infinitésimal.
Alyana... Leurs parents auraient pu la modifier. Avant ses trois ans cependant, et personne ne pouvait s'attendre à ce qu'elle ne développe pas comme prévu sa mutation. Sans compter qu'il était extrêmement mal vu d'avoir recourt à ces procédés... Pour les grandes familles, c'était héréditaire, comme leur nom, et cela permettait d'accroître leur influence.
À la pensée de sa sœur qui décidément ne le quittait pas, Koryan revint à l'idée qui l'avait effleuré et se retourna vers son cousin.
— Si vous vous renseignez ainsi sur nous... Savez vous que j'avais prévu de m'occuper de ma sœur ? Que je lui avais trouvé un emploi décent et un logement dans des étages pas trop inférieurs ?
Aldéric parut oublier sa colère. Il pencha légèrement sa tête sur le côté, ses longs cheveux attachés pour une fois en queue de cheval, seules deux mèches laissées libres pour encadrer son visage, et finit par répondre après un soupir.
— Mes espions ne m'apprennent pas tout. Comment se fait il qu'elle n'y soit jamais allée si vous aviez prévu cela ?
C'était un souvenir encore pénible, et Koryan n'en avait jamais parlé à personne, s'enfermant dans sa douleur. Il avait bien essayé de la faire rechercher après sa fuite, mais sans l'aide des moyens de ses parents ou de son frère, c'était presque impossible.
— Elle est partie sans prévenir. Elle ne m'a rien dit mais le lendemain de mon arrivée pour lui annoncer ce que j'avais prévu pour elle... Elle n'était plus là et son violon non plus. C'est la seule chose à laquelle elle tienne réellement, et le seul cadeau que mon frère Erwan lui ait jamais fait. Alya... Elle ne m'a pas laissé une seule explication mais j'ai compris. Compris que c'était trop pour elle et qu'elle avait préféré coupé les ponts. Sans mon aide cependant elle n'a pu que dégringoler d'étages en étages et la pensée qu'il lui soit arrivé quelque chose de grave ou qu'elle soit morte comme vous en avez évoqué la possibilité me démolit chaque fois que j'y pense. Mais je ne sais pas quoi faire...
Le regard d'Aldéric était une fois de plus tourné vers la photo collé à la vitre. Il avait serré les mâchoires, et Koryan comprit soudain qu'il hésitait, déchiré entre deux parts de lui-même.
— Je vous hais, mais ma mère m'a appris à aider les autres lorsqu'on le peut...
Le jeune militaire ne put s'empêcher de lâcher une remarque narquoise aussi stupide que malheureuse.
— À vous entendre, Danaé était une sainte.
Au brusque tressaillement qui secoua l'héritier, Koryan devina qu'il était allé trop loin. Il recula précipitamment son siège au moment où l'autre se levait mais ce geste suffit à faire retrouver un calme froid et neutre à Aldéric, qui l'impressionna malgré lui.
— Décidément vous ne valez pas mieux que toute votre famille. Alyana est peut-être l'exception... Pour elle je veux bien vous dire tout ce que je sais : elle est en Egrabe, dans les quartiers les plus pauvres de Cerem, la ville la plus peuplée de cette planète.
Devant le regard tout à coup interrogateur de Koryan qui oubliait déjà la presque injure qu'il venait de lâcher, le prince haussa les épaules.
— Elle m'intéressait. C'était ma seule cousine non mutante après tout... et j'aurai beaucoup aimé discuter avec elle si vous ne l'aviez pas enfermée dans l'un de vos châteaux de campagne. J'ai voulu envoyer l'un de mes gardes l'aider après sa fuite, je n'ai pas pu y aller moi même car mon commandant, l'homme qui m'a élevé à mon arrivée à Astra, me l'a interdit. Je le respectais trop pour aller risquer ma vie dans les bas-fonds... Je regrette aujourd'hui de ne pas y être allé quand même, mon garde ne l'a pas retrouvée. Après tout, Alyana est de ma famille.
Cette dernière phrase accentua dans des proportions non négligeable la douleur qui irradiait la poitrine de Koryan. Qu'aurait-il dû dire lui ? Il était son frère, mais il l'avait laissée grandir enfermée toute sa vie, trop heureux de fermer les yeux et de se concentrer pour préparer sa belle carrière militaire.
Une pensée insidieuse le traversa de nouveau. Aldéric... pouvait il être un homme meilleur que lui ? Réellement bon ? À force de vivre aux côtés de sa dangereuse famille, Koryan avait appris à oublier ce que le mot « générosité » signifiait. Malgré toute sa haine et sa colère, il ne pouvait s'empêcher d'avoir l'impression de le redécouvrir aux côtés de son cousin.
— Merci, répondit il sincèrement sans chercher à se montrer blessant pour une fois. Lorsque cette mission sera terminée, je partirai à sa recherche. Vous avez raison, je me suis comporté comme un sale type... Et s'il y a une chance, même infime, de réparer, je veux la tenter.
Aldéric s'apprêtait à répondre lorsqu'un voyant s'alluma sur l'écran devant eux en même temps qu'une alerte se déclenchait dans tout le vaisseau. Koryan avait été suffisamment entraîné pour ne pas avoir à attendre que la voix informatique de bord ne les informe. Il avait déjà compris et il lança un bref coup d'œil à son cousin pour demander :
— C'est normal ?
Celui ci secoua la tête de droite à gauche, laconique.
— Non.
L'ordinateur du bord annonça alors la raison de la sonnerie stridente.
« Vaisseau de guerre en approche, longueur de code inconnue, non répertorié dans les trajets prévus aujourd'hui... »
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Oméga T1
Science FictionT1 Alyana Année 3678. Aldéric, l'héritier de pratiquement toute la galaxie, souffre de la disparition de sa mère. Koryan tente d'oublier sa sœur. A deux, ils pourraient peut-être revenir en arrière, pour retrouver Alyana et comprendre ce qui est arr...