Koryan (Chapitre 24)

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— Koryan !

Antoine ouvrait maintenant deux grands yeux stupéfaits en fixant le jeune homme qui se renfrogna davantage.

— Je ne suis pas plus enchanté que vous de vous rencontrer, rassurez vous, argua-t-il avec ironie.

Son oncle le surprit cependant, retrouvant le même sourire jovial – bien qu'un peu forcé – que celui qu'il avait eut pour Aldéric.

— Tu te trompes Ryan, je suis heureux de refaire ta connaissance... Ça doit bien faire sept ans que je ne t'avais pas vu, et tu as beaucoup changé.

Koryan grimaça. Il détestait que l'on se montre familier avec lui lorsqu'il ne l'avait pas permis.

— Mon prénom est Koryan, pas Ryan.

Antoine eut un geste de la main pour signifier que cela n'avait pas beaucoup d'importance. Il restait grave cependant, et le jeune homme le vit glisser quelques mots aux deux gardes avec lui qui braquèrent aussitôt leurs regards dans sa direction. Visiblement son oncle n'était pas dupe quant au danger qu'il représentait.

— Très bien, si tu préfères. En attendant, Aldéric, tu es pressé de repartir ou tu peux rester ici une petite semaine ? Je fais faire tout de suite le plein de votre vaisseau, mais je sais que mes enfants seraient ravis de te revoir...

Il passa son bras autour des épaules de l'héritier et l'entraîna avec lui, commençant à s'éloigner de leur appareil.

Koryan resta sur place, furieux, songeant qu'il n'avait aucune envie de s'attarder sur cette maudite planète dirigée par le seul prince n'obéissant pas à son père. Les deux gardes n'avaient pas bougé... Visiblement c'était bien lui qu'ils surveillaient maintenant.

Le jeune homme se mît en marche après leur avoir adressé un regard noir et entendu quelques pas devant lui la réponse amusée d'Aldéric.

— Je peux rester quelques jours oncle Antoine, si ça ne vous pose pas de problème. À vrai dire, j'espérais bien que vous me le proposeriez en vous contactant par radio tout à l'heure.

Koryan fulminait intérieurement mais savait qu'il n'avait rien à dire. Son cousin pouvait tout à fait lui ordonner de rester ici... Toute une année même s'il le voulait : il n'était qu'un militaire à son service, sans l'influence de ses parents derrière lui.

Ils marchèrent ainsi sur quelques mètres jusqu'à deux serviteurs robots à la beauté humaine parfaite, amenant vers eux des tricornes, les montures d'Egrabe.

Koryan dévisagea les animaux avec répulsion. Il avait toujours trouvé ridicule qu'une planète aux villes aussi modernes conservent une campagne archaïque. Les métaux dans le sol avaient beau émettre des rayonnements empêchant les voyages à bord de navettes, il n'appréciait pas de devoir galoper pendant quelques heures sur le dos de chevaux à trois cornes sur le front. Enfin, tout le monde savait qu'il n'y avait pas d'autre possibilité de déplacement sur Egrabe.

Aldéric ne l'avait pas attendu pour déjà se hisser en selle. Il était méconnaissable, riant pour un rien, les yeux lumineux, radicalement changé en quelques minutes. Koryan prit conscience du fait que si lui détestait ce monde, son cousin ne se sentait bien qu'ici aux côtés de cet oncle si méprisé de la cour.

L'héritier laissa échapper un nouveau rire joyeux en direction d'Antoine.

— Wahou, vous avez pensé à prendre Black pour venir me voir...

L'étalon noir qu'il montait piaffa et agita la tête mais le jeune homme le calma d'une caresse sur l'encolure avant de poursuivre avec joie.

— C'est avec lui que j'ai appris à monter il y a quatre ans... C'était presque un poulain alors !

Leur oncle hocha la tête, amusé lui aussi, avant de prendre les rênes d'un autre tricorne, à la robe bai, et de s'avancer vers Koryan resté légèrement en retrait.

— Tu sais monter ? Sinon je peux t'en trouver un plus calme...

Le jeune homme se retint de jurer et lança un nouveau regard noir à son oncle.

— A l'armée nous apprenons à voler à dos de dragon génétique, et à galoper sur vos foutus tricornes... Nous devons être capables de nous déplacer n'importe où. Donc bien sûr que oui je sais, même si je n'en ai pas l'habitude. Je n'ai pas besoin de votre aide.

Il lui arracha les rênes des mains, et se hissa en selle quelques secondes plus tard en s'aidant de l'étrier, ce qu'Aldéric n'avait pas eu besoin de faire.

Antoine laissa échapper un soupir las, debout devant l'animal, et leurs regards se croisèrent un bref instant. Koryan sentit immédiatement la détresse et la nostalgie qui habitaient cet homme tourné en ridicule par tous les princes d'Astra.

Il parut vouloir ajouter quelque chose, tenter de lui exprimer ce qu'il ressentait, et le jeune militaire s'aperçut qu'il n'aurait peut être pas pu conserver le même visage rigide et dur. Son oncle renonça cependant et se détourna pour s'approcher de sa propre monture et se hisser sur celle ci avant de remercier les serviteurs.

Encore quelque chose de méprisable selon la famille de Koryan. La bonne attitude d'un noble était d'ignorer tout en exigeant un service impeccable, pas de remercier alors qu'ils faisaient juste leur travail. Le garçon ne parvint pourtant pas à trouver le geste aussi ridicule qu'il l'aurait voulu, et le sourire ironique qu'il essaya d'afficher se fana sur ses lèvres dès qu'il croisa le regard d'Aldéric, méprisant à son encontre.

Il avait brusquement l'impression de n'être plus si sûr de ses valeurs, et d'ignorer vers quoi il se dirigeait.

Les deux soldats un peu en retrait derrière étaient eux aussi maintenant en selle, et Antoine fut le premier à piquer les flancs de sa monture pour s'enfoncer dans un sentier de sable entre les pistes du spatioport et les arbres.

Koryan n'avait pas menti en disant qu'il savait monter, mais il était loin d'être aussi à l'aise que son cousin qui suivait le rythme de son tricorne à merveille, accompagnant chacun de ses mouvements sans donner l'impression de se faire balloter dans tous les sens comme Koryan en avait lui la sensation.

Le sentier quitta peu à peu les pistes pour les entraîner au milieu de grandes plaines cultivées. Le jeune militaire n'avait jamais été sensible à la beauté de la nature, par ailleurs peu présente dans les grandes villes où il avait toujours vécu, mais ici la vie semblait se dérouler autrement.

Si la civilisation était présente à travers les robots polinisateurs – sortes d'insectes de métal bourdonnant au dessus des fleurs – les immenses étendues de blé ou de roses pour la confection de parfum et de bouquet ne pouvaient laisser indifférent.

A Astra comme dans les trois quart des provinces de l'empire, la nourriture était entièrement fabriquée en usine à partir de molécule chimique et reconstituée de façon à donner un goût et une forme aux aliments que l'on mangeait à chaque repas.

Il était en revanche de notoriété publique que les magnifiques bouquets de fleurs que vous offriez à la femme de votre vie ne pouvaient provenir d'ailleurs que d'Egrabe – la planète fermière de son oncle.

Koryan avait fini par trouver son rythme et galopait derrière Aldéric et Antoine côte à côte. Le vent soufflait dans sa cape d'uniforme et s'engouffrait dans ses cheveux longs, apportant avec lui une odeur de bois, d'herbe fraîchement coupée, et l'entêtant parfum des roses.

La seule image qui revenait en mémoire du jeune homme et qui lui rappelait vaguement cette nature était le palais de son père où sa sœur Alyana avait passé toute son enfance recluse.

Il était lui aussi située au coeur d'une campagne constituée de bois et forêts, mais sans champs car il n'existait pas de cultures de ce genre en AM.Erica, la province dirigée par Tancrède.

Il faisait gris, et la pluie menaçait de tomber, mais le jeune homme se sentait étrangement libre et heureux, ce qui lui déplaisait.

Il était en train de comprendre l'étrange plaisir qu'on pouvait trouver à habiter sur la sauvage et archaïque planète Egrabe.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant