Koryan (Chapitre 8)

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Koryan laissa sa tête tomber contre le dossier de son siège et se sentit bientôt somnoler, entraînée dans le monde de ses rêves, loin de cette navette solitaire au milieu de l'espace.

Une question l'empêcha cependant de tout à fait s'endormir et il rouvrit les yeux pour tourner la tête vers Aldéric qui regardait droit devant lui, les bras croisés et figé en une posture inconfortable.

— Pourquoi n'y a-t-il aucun autre vaisseau en vue ? Normalement nous devrions être avec d'autres, puisque le voyage décennal se fait en groupe...

— Certes. Mais je tenais à mettre un maximum de chances de mon côté de rester en vie. J'aurais voulu voyager dans le convoi sécurisé de mon oncle mais l'empereur ne me porte pas dans son coeur comme je vous l'ai déjà dit. J'ai donc dû faire avec les moyens du bord, en vous prenant avec moi pour déstabiliser vos parents et en modifiant mon itinéraire. Il leur faudra du temps pour comprendre que je ne suis pas l'itinéraire prévu et pour lancer leurs hommes derrière nous. Être seuls est un handicap mais devrait nous aider également à nous faire discret.

— Il n'y a pas de complot, rétorqua Koryan plus machinalement qu'autre chose.

Son cousin était insupportable. Mais intelligent, vraiment. Quant à d'éventuelles poursuites, il préférait continuer de penser que la volonté de ses parents de ne pas le mettre en danger suffirait à les convaincre d'attendre une autre occasion. Le prochain transfert décennal, par exemple, songea-t-il amèrement, songeant au passage qu'en dix ans beaucoup de choses pouvaient se passer.

Un nouveau silence tomba entre eux, lourd et pénible. Ah, si seulement il avait pu le tuer et prendre les commandes de l'appareil après avoir fait basculer le corps de son cousin dans l'espace ! Idée irréalisable si Koryan voulait rester en vie et échapper à la colère de l'empereur...

— Vous aviez proposé de m'entraîner, commença-t-il pour tromper son ennui croissant. Cela vous dit, un combat entre nous deux ?

C'était une pratique courante à Astra parmi la haute société, et les gagnants des gigantesques combats organisés chaque année étaient régulièrement couvert de richesse et hissés au plus hauts postes de la hiérarchie. Prouver sa force faisait intégralement parti de la vie de tous les jours, raison pour laquelle Alyana...

Koryan s'arrêta immédiatement, éloignant de lui la pensée de sa sœur. Il en voulait à Aldéric de l'avoir évoquée devant lui alors que cela faisait des mois qu'il s'efforçait en silence de surmonter sa douleur et de cicatriser sans y parvenir. Où était elle ? La question flottait dans son esprit chaque soir avant qu'il ne s'endorme, sauf lorsqu'il était trop épuisé et parvenait à s'écrouler d'une masse, sans avoir le temps d'y penser.

Son cousin le tira alors de ses pensées en se levant de son siège.

— Ça me va. J'ai besoin de me défouler. La salle d'entraînement est la seconde porte à gauche dans le couloir.

Il s'éloigna ensuite à grandes enjambées dans la direction qu'il venait d'indiquer et Koryan resta un instant immobile avant de se lever à son tour et de le rejoindre.

En parcourant l'étroit couloir puis en pénétrant dans la salle de sport, le jeune homme ne savait pas exactement à quoi s'attendre.

Il découvrit une grande pièce sans fenêtre, éclairée aux néons et couverte d'un épais tapis pour empêcher les chutes trop violentes. Au fond à sa droite se trouvaient une rangée de cabines séparées chacune de la salle par un rideau. Koryan en connaissait l'usage, et il s'y dirigea après Aldéric qui venait déjà de pénétrer dans la sienne.

En quelques gestes rapides le jeune homme se déshabilla entièrement puis se concentra. Il n'eut pas besoin d'attendre longtemps : sa colère et sa frustration agirent comme un catalyseur, accélérant sa transformation. En quelques secondes sa peau se couvrit de fourrure, sa tête s'allongea et il tomba brutalement au sol, brusquement incapable de se tenir debout. À la place de ses mains et de ses pieds étaient apparues des pattes animales, terminées de longues griffes, et des grognements rauque s'échappaient de sa gorge.

Un loup. Ou en tout cas un animal qui y ressemblait, plus gros que l'espèce disparue depuis longtemps. Koryan adorait les sensations différentes qu'il pouvait percevoir sous cette autre forme de lui même, à commencer par son toucher décuplé par les coussinets de ses pattes ou l'ouïe bien plus développée.

Son flair lui indiqua la présence d'un autre animal dans la salle et il en déduisit qu'Aldéric était déjà sorti de sa cabine. Instinctivement, il plaqua ses oreilles en arrière et émit un grognement, incapable de réfréner ces expressions animales de sa haine envers son cousin.

Il se décida quelques secondes plus tard à jaillir hors des trois murs exigus de la cabine, et traversa la salle jusqu'à venir s'immobiliser en son centre face à Aldéric.

Un frisson parcourut son échine et il eut du mal à retenir un nouveau grognement face à lui, campé sur ses pattes dans une posture menaçante. L'héritier se reconnaissait facilement sous sa forme mutante : le même albinos le caractérisait. Ses yeux rouges brillaient, animés de cette lueur de colère qui semblait éternellement y briller lorsqu'il oubliait de la cacher, et sa fourrure était blanche, sans une tâche, opposé à cette de Koryan qui était intégralement noir.

Les deux animaux se dévisageaient, menaçants, et bientôt ils commencèrent à tourner en cercle, se jaugeant du regard.

Koryan n'avait pas peur. Ses années d'entraînement au combat à l'Académie et dans l'armée lui assureraient forcément l'avantage.

Néanmoins, il devait s'avouer que jusqu'ici l'autre loup n'avait pas fait la moindre erreur. Aldéric guettait comme lui une ouverture ou une distraction de sa part pour se lancer à l'attaque, et leurs deux corps animals étaient si tendu que leurs poils paraissaient dressés sur leur échine.

Aldéric fut le premier à se porter en avant mais les réflexes de Koryan lui permirent de l'éviter. Il se déporta d'un bond sur le côté mais l'autre devait avoir anticipé ce mouvement car il atterrit tout proche de lui.

Les deux jeunes gens sous forme mutante ne se maîtrisèrent alors plus et le combat se transforma en une mêlée où les coups de griffes pleuvaient et où ils cherchaient violemment à planter leurs crocs dans la chair de l'autre.

Au fur et à mesure que les minutes s'égrenaient et que les deux bêtes se heurtaient violemment, Koryan prenait conscience de la supériorité physique de son adversaire. Même s'il détestait devoir l'admettre, il était en train de se rendre compte qu'il n'allait pas forcément sortir vainqueur de cette attaque comme il en avait été si certain en la déclenchant...

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant