Aldéric (Chapitre 16)

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Les secondes paraissaient avancer au ralenti, et Aldéric entendait chacun des battements de son cœur, tout comme Koryan qui paraissait figé sur son siège, étrangement fasciné par le spectacle tragique en train de se dérouler et dont ils étaient les acteurs.

— Ils vont dévier leur vaisseau de notre trajectoire... murmura le jeune homme sans s'adresser à personne en particulier.

Aldéric prit sur lui de répondre cependant, toujours dans ce réflexe qu'il avait acquis au fil du temps de parfaitement cacher ses émotions.

— Non. Leur vaisseau est trop gros pour être manœuvré sur une si courte distance... Et ils ne s'attendent pas à être démolis par un appareil de la taille du nôtre. Ils doivent juste nous prendre pour des fous et se réjouir du fait que nous leur facilitons la vie... Enfin je pense qu'ils s'inquiètent aussi, mais plus de recevoir à la dernière minute un tir ou quelque chose comme ça.

Les deux jeunes gens se turent ensuite, incapable d'ajouter une parole. Les deux vaisseaux paraissaient si proches que c'était déjà un miracle qu'ils ne se soient pas déjà heurtés... Effet d'optique, mais il ne restait plus que quelques secondes avant le choc.

Elles s'écoulèrent en un éclair et un instant plus tard un écœurant bruit de tôles froissés insoutenable traversa les parois pourtant bien insonorisés de leur appareil.

Aldéric se sentit violemment projeté au fond de son siège et son souffle se bloqua dans sa poitrine comme pour un décollage un peu rapide.

Il eut l'impression que ses os se brisaient en lui, et qu'il était réduit à l'état d'un pantin sans fil, lorsqu'il put de nouveau respirer librement et que le voile de brume recouvrant son regard s'effaça.

Koryan s'était repris plus vite que lui cette fois-ci, sans doute à cause des expériences qu'il devait vivre sur le front ouest de la barrière extérieure.

Il fixait la vitre devant eux, sans comprendre encore, mais un sourire triomphant montait sur ses lèvres en même temps qu'il analysait la scène.

Les deux béliers de leur vaisseau s'étaient profondément enfoncés comme prévu dans l'appareil militaire et celui ci était en train de se désagréger devant eux.

Leur propre navette continuait en effet d'avancer à pleine vitesse, entraînant les décombres brisés de l'énorme vaisseau à s'écarter sous l'effet de la vitesse.

Cela s'était passé si vite qu'Aldéric ne parvenait pas encore à réaliser ce qui venait d'arriver. Koryan paraissait hésiter entre deux sentiments et l'héritier devina avec une amère acuité ses songeries.

Son cousin venait de perdre une occasion de le voir mourir en ayant l'occasion de se mettre lui même hors de soupçons. D'un autre côté ils venaient de vaincre l'ennemi par la stratégie et en parfait soldat Koryan ne pouvait que se réjouir d'un combat bien mené.

— Bravo, finit par lâcher ce dernier d'un ton calme, mais où il laissa percer sa sincère admiration.

Aldéric eut beaucoup de mal à prendre sur lui pour garder la tête droite et répondre aussi calmement qu'à l'accoutumée. Il était si difficile d'entendre ce genre de compliments dans la bouche de quelqu'un qui voulait le détruire...

— Non. Il n'y a pas de quoi être fier. Il y avait des personnes dans ce vaisseau, et elles sont mortes. J'aurais aimé pouvoir leur parler, tacher de les convaincre d'éviter ça.

Cette fois-ci, il s'attira un coup d'œil méprisant de Koryan. Les derniers vestiges de l'énorme vaisseau qui les menaçait encore quelques minutes plus tôt avaient disparu d'entre les pinces du leur, perdus quelque part déjà au milieu de l'espace. Le vide interstellaire avait toujours paru à Aldéric la meilleure définition de lui-même.

— Dans une guerre il y a des pertes, c'est normal. Vous venez de sauver votre vie, qu'est ce que vous voulez de plus ?

L'héritier tourna la tête pour faire face à son cousin. Il avait une soudaine envie de franchise, comme lorsqu'il baissait légèrement ses barrières. Il le regrettait toujours après, car il savait qu'il ne tarderait pas à être de nouveau mortellement blessé, mais il avait appris à le surmonter.

— J'ignore si je ne suis pas adapté au monde ou si le monde n'est pas adapté à moi. Je sais que je ne devrais rien ressentir pour ces gens qui viennent de mourir en essayant lâchement de me tuer... Mais je ne le peux. Viendra un jour où je ne serais plus capable de tuer pour me défendre... Ce jour là vous et les vôtres aurez obtenu ce que vous avez toujours voulu : ma mort.

Pour une fois Koryan ne tenta même pas de nier. De toute façon tant qu'il n'avait pas de preuves contre eux tous Aldéric ne pouvait rien faire... Les princes d'Astra étaient intouchables, malgré leur cruauté et leur vanité.

Le jeune homme savait cependant que même si Koryan s'était trahi, il n'aurait rien fait des preuves apportées. Son oncle, l'Empereur, n'avait jamais accepté de le voir ne fut-ce qu'une fois. Il ne voyait pas comment il aurait pu appeler à l'aide un homme qui le détestait au fond exactement autant que tous les autres.

S'efforçant de dissiper la boule qui se formait dans sa gorge, Aldéric rapprocha un peu plus son fauteuil des écrans de contrôle et avança la main vers les commandes lentement, saisi d'une violente lassitude.

— Bon eh bien maintenant... Direction l'Egrabe.

Il enclencha les bonnes manettes de contrôle tandis que son cousin restait immobile sans rien dire. Aldéric pensa qu'il aurait aimé deviner à quoi celui ci pensait avant de secouer la tête légèrement : ce ne serait sûrement pas agréable.

Une fois la trajectoire vers la planète Egrabe rétablie, il sentit un léger sourire qui n'avait rien de feint celui là lui monter aux lèvres.

Il allait en profiter pour aller voir son oncle Antoine, et ces cousins que toute la cour jugeait ridiculement « infréquentable ».

Il glissa un coup d'œil en coin à Koryan. Il abandonnait une fois de plus la possibilité de s'attacher l'un des membres de sa famille de comploteurs, mais il se fit la promesse qu'avant la fin du voyage le jeune homme le connaîtrait. Que lorsqu'il mourait quelqu'un saurait au moins qu'il avait toujours tenté de faire au mieux... Peut-être même qu'il comprenne qui il était.

Si Koryan pouvait aussi changer grâce à lui au moins un peu son opinion concernant Antoine et les siens, cela rendrait Aldéric un peu heureux. Il savait très bien que cet oncle souffrait au moins autant que lui du rejet de leur famille... Pour l'unique raison, vraisemblablement et bien qu'ils n'en aient jamais parlé, qu'il refusait de s'allier au complot contre lui.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant