Koryan (Chapitre 14)

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Koryan n'arrivait pas à s'ôter de l'esprit ce que venait de lui confier l'héritier. Comment rester insensible à la détresse que représentaient ces lignes blanches sur sa peau ?

Lui-même avait passé des années à essayer de s'endurcir dans l'armée, mais il avait déjà constaté avec Alyana qu'il n'y était jamais parvenu. Il en faisait de nouveau le constat à cet instant.

L'héritier le tira de ses pensées en mettant en marche la radio de bord.

— Allo, ici le vaisseau YoayiS, je demande le contact pour une vérification d'identité et de trajectoire, si vos intentions ne sont pas belliqueuses veuillez accepter la communication...

En retour, il s'écoula une infinité de « bips » sonores témoignant que personne n'avait pris l'appel dans le vaisseau le plus proche d'eux mêmes, c'est à dire leur poursuivant.

Koryan croisa les bras, songeant qu'on ne pouvait plus douter du fait qu'ils étaient réellement en danger. Était ce cela que vivait continuellement Aldéric ? Cette peur toujours présente, cette certitude dès que quelque chose sortant de l'habituel survenait, que ce n'était pas une bonne nouvelle mais une menace ? Le jeune homme inspira et détourna ses pensées de ces interrogations pour se concentrer sur une autre question, à savoir comment le vaisseau de guerre les avait retrouvé si vite. Il n'aimait pas cette pitié qui l'envahissait et qu'il n'aurait pas dû éprouver.

Aldéric coupa la communication après un soupir exaspéré, témoignant ainsi un peu d'émotion, avant de se tourner vers lui sans quitter ses commandes.

— Je suis stupide. C'est vous qui nous avez fait repérer !

Visiblement ils étaient sur la même longueur d'onde, en train de penser à la même chose.

— Quoi ?

Koryan ne comprenait pas où son cousin voulait en venir mais celui ci ne tarda pas à désigner son cou d'un geste du doigt.

— Vous êtes militaire... Comment aucun de nous deux n'a pu penser à ça ? Vous avez une puce implantée...

— Comme tout le monde.

— Certes, mais la vôtre ne sert pas juste à débloquer les accès des portes, elle est spéciale, justement pour pouvoir vous repérer sur un champ de bataille spatial.

Koryan lâcha un juron pour toute réponse. Il ne voulait rien ajouter, blessé au plus profond de lui même par ce que cela signifiait, tout en continuant de refuser l'évidence. La personne qui s'était débrouillée pour avoir accès aux bases de données militaires devait être très puissante... Sûrement l'un des princes. C'était forcément l'un de ses oncles, ce ne pouvait pas être ses parents ou Erwan...

Il ferma les yeux, et s'efforça de se détendre avant de les rouvrir, les vrillant sur la baie vitrée devant eux.

— Il va falloir qu'on se débrouille pour me l'enlever mais il nous faudrait une autorisation spéciale. Vous pouvez nous avoir ça ?

Le vaisseau militaire était maintenant tout proche, mais les deux jeunes gens s'étaient parfaitement calmés et évitaient le sujet sur lequel leurs pensées étaient pourtant concentrées.

— Je pourrais, mais ça prendra trop de temps, tout le monde est à bord de vaisseaux spatiaux pour la transition de l'empereur. On se débrouillera pour vous la faire enlever sur Egrabe.

Koryan ne demanda pas comment il comptait s'y prendre. Si réellement ils étaient déjà poursuivis à cause de lui... Alors si lui-même voulait rester en vie, il était dans son intérêt d'ôter cette puce.

Une pensée soudaine envahit le soldat qui contracta ses muscles.

Il y avait sûrement quelque part une possibilité de tuer Aldéric tout en restant lui même en vie. Leurs poursuivants n'en avaient qu'après l'héritier, mais comment faire pour que l'empereur ne puisse l'accuser d'avoir failli à sa tâche de protection ?

La réponse s'imposa comme une évidence au jeune homme. Il suffisait qu'il défende effectivement Aldéric et qu'il se fasse blesser suffisamment pour que sa puissante famille puisse le soutenir officiellement et que l'empereur n'ait aucun moyen de le condamner.

Alors... Ce vaisseau qui les poursuivait, Koryan avait peut être intérêt à favoriser son approche finalement au lieu d'aider l'héritier à leur échapper.

Il ne s'était pas rendu compte qu'Aldéric le fixait intensément depuis quelques instants. Lorsqu'il sortit de ses pensées, ce fut pour croiser le regard flamboyant du prince.

— Vous envisagez de me faire mourir, n'est-ce pas ?

Une intonation étrange résonnait dans ces paroles et Koryan mît quelques secondes à comprendre ce que c'était, trop sous le choc d'avoir été si aisément deviné. C'était une ombre de peine et de tristesse mêlée, quelque chose comme une vieille blessure rouverte.

Ils échangèrent un long regard durant lequel le soldat songea qu'Aldéric n'était pas forcément une mauvaise personne, mais que même si sa famille avait réellement envisagé de le sacrifier lui, ce qu'il ne croyait pas, il était tout de même prêt à se battre pour réaliser leur but, à savoir prendre le trône. Et malheureusement cet insupportable cousin presque inconnu était sur le chemin...

— Non, se décida t-il à répondre d'une voix rauque. Vous avez oublié que si tu meurs votre oncle me fera exécuter pour manquement à ma mission de protection ?

L'héritier se détourna avec une moue de dégoût et répliqua avec une violence à laquelle Koryan ne s'attendait pas.

— Ne me prenez pas pour un imbécile, je vous l'ai déjà dit. Et il faudra que je vous répète combien de fois que l'empereur est notre oncle ? Nous savons tous les deux que si votre famille peut prouver que ma mort était totalement accidentelle ou que vous avez tout fait pour me sauver, il y a une chance pour qu'il gagne la bataille juridique. Ce ne serait pas la première fois que Myriam Astra achèterait les juges pour lutter contre l'Empereur.

Koryan savait que sa mère possédait le plus important réseau d'espionnage de toute la galaxie et était crainte absolument partout mais il ne tenait pas à donner raison à son cousin. D'autant plus que cela ne simplifierait pas sa tâche de le trahir s'il était au courant.

Le trahir ? Il se reprit en s'administrent une gifle mentale. Il n'avait jamais voulu le servir, c'était sa famille qui primait et c'était envers elle qu'il devait fidélité.

Une alarme se mît alors à résonner dans tout le vaisseau, et les deux jeunes gens sursautèrent dans un bel ensemble. Tout à leur duel verbal, ils avaient presque oublié le danger immédiat.

Koryan était prêt à livrer l'héritier, mais certainement pas à se faire bêtement descendre par des canons spatiaux.

— Vite, les commandes ! hurla-t-il en se précipitant vers le pupitre en rapprochant de nouveau son siège.

C'était un cri inutile cependant : Aldéric avait comme toujours réagi plus vite que lui et était déjà en train de faire pivoter à un certain angle leur appareil pour offrir moins de prise à d'éventuels tirs. Il paraissait à l'aise dans l'exercice, adroit et entraîné.

Cela ne fit qu'accentuer la colère de Koryan. Ne pouvait-il pas être mauvais quelque part ?

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant