Alyana (Chapitre 17)

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Le soleil tapait sur la nuque et les jambes nues d'Alyana mais la jeune fille n'y prenait pas garde, fixant le garçon qui l'avait guidé à travers le dédale formé par les couloirs souterrains et les rues exiguës ou les milliers de cabanons encombrant les grandes voies qui auraient pu être autrement de somptueuses avenues.

Il venait de s'arrêter devant une porte de bois brut, pourvue d'un locket, et il souleva celui ci avant de le laisser retomber quatre fois à intervalles réguliers plus ou moins longs. La ruelle était envahie d'une sale odeur d'ordures et de moisissures, mais en un an Alyana avait eu le temps de s'y habituer.

En revanche, elle sentait son appréhension croître de minutes en minutes. Elle croisa les bras sur sa poitrine d'un geste décidé, se campant sur ses jambes, et lâcha en même temps que le battant s'entrouvrait :

— Bon, je n'entre pas. Tu vas me chercher ma lettre et tu reviens, mais pas question que je mette un pied là-dedans...

Elle n'eut pas le temps d'en dire plus. Le jeune homme qui venait d'ouvrir la porte, à peine moins âgé que le garçon venu la chercher au bar, braquait d'un geste calme un pistolet sur sa tempe.

— Tu entres et tu ne fais pas d'histoire, sinon... Disons qu'il pourrait t'arriver quelques ennuis.

Alyana avait développé ces derniers mois un instinct sûr et celui ci lui disait que celui qui la menaçait ne lui voulait pas de mal dans l'immédiat, mais que sa menace était réelle. Quelle gourde de n'avoir pas gardé à la main son propre pistolet !

Furieuse contre elle-même, l'adolescente jura pour cacher son angoisse puis fit en avant, passant devant son guide.

— Très bien, inutile de sortir les grands mots, je viens.

Elle passa ensuite devant l'homme qui avait ouvert, et constata en plus de sa jeunesse évidente ses cheveux bruns foncés assortis à des yeux gris. Il devait être charmant lorsqu'il souriait, mais pour l'heure il paraissait juste terriblement désagréable.

— Avance dans le couloir devant toi et gagne le salon...

Alyana commençait à douter de l'existence de la lettre qui l'avait fait venir. Tout cela était trop bien organisé, et visiblement elle était attendue.

Elle n'avait cependant pas beaucoup de choix et elle traversa la distance la séparant de la pièce désignée en quelques pas, sa main suivant le mur miteux couvert d'un papier peint déchiré par endroit.

Elle avait beau savoir tirer, quelque chose lui disait que c'était également le cas des deux garçons derrière elle, et l'adolescente préférait attendre pour le moment.

Elle ne tarda pas à déboucher dans le salon et marqua un temps d'arrêt stupéfait avant d'y entrer.

La pièce, plus grande que ce à quoi elle s'attendait, était remplie de monde. Il y avait des jeunes et des vieux, quelques personnes masquées – détail incompréhensible –, et il paraissait manquer d'espace.

Malgré cela les deux fenêtres étaient fermées et les grands rideaux de velours rouge tirés. Seule la lumière de lampes à pétrole éclairait l'espace, et il régnait une chaleur suffocante.

— Hem. Bonjour. Excusez moi je ne fais que passer, le gars qui m'a amenée ici doit me donner un papier... Rien d'important, faites comme si je n'étais pas là.

Cela paraissait être un conseil plutôt simple à suivre mais pas un ne détourna le regard. Une femme, d'une trentaine d'années, vêtue d'une combinaison de travail et cheveux relevés en chignon, s'avança d'un pas avec un sourire. Cela ne détendit pas Alyana pour autant, qui venait de se rendre compte que les deux garçons entrevus antérieurement s'étaient postés derrière elle dans le couloir pour lui barrer le chemin vers la porte de sortie.

— La protégée de Jean je présume ? Je tiens à vous dire que tous ici nous avons été désolés d'apprendre la nouvelle de son arrestation...

— Merveilleux, rétorqua l'adolescente plus froidement qu'elle ne l'aurait voulu. Heu si ce n'est pas trop demander, je pourrais savoir ce que vous voulez de moi exactement ?

La femme cligna des paupières, surprise, et un homme prit la parole derrière elle, debout derrière un canapé où étaient installées quatre autres personnes.

— Nous voulons simplement vérifier une vieille théorie de Jean...

Le jeune homme qui avait entraîné Alyana dans ce pétrin s'avança alors et vint se poster juste à sa droite. Elle se décala légèrement, toujours aussi peu rassurée, mais manqua se cogner dans un petit homme rabougri qui lui lança un regard noir qu'elle lui rendit.

— J'ai pu observer cette fille durant le trajet... Ce n'est certainement pas une noble. Elle se débrouille parfaitement dans nos quartiers, et elle n'a vraiment rien d'extraordinaire.

Alyana étouffa un rire jaune. Elle voulut répliquer sans savoir quoi, mais la femme qui avait déjà parlé fusilla le garçon du regard.

— Ça n'est pas à toi d'en juger Alexandre. Mademoiselle, ajouta-t-elle en se tournant vers elle, personne n'a pu savoir d'où vous venez. Jean nous avait interdit de vous questionner... Il s'était attaché à vous. Je n'ai pas les mêmes scrupules, même si j'espère que vous répondrez franchement à nos questions et que cela nous évitera de vous faire du mal.

Alyana sentit sa peur de muer en doute. Alors ces gens voulaient vraiment des renseignements... Comprendre qui elle était et utiliser ce qu'elle savait.

L'adolescente ne répondit pas tout de suite, songeant à Jean qui l'avait visiblement recueilli au départ pour cette unique raison.

Elle avait envie de tout leur confier, au moins pour lui. Rien ne pouvait la retenir...

Sauf qu'elle risquait de se mettre en danger en révélant son identité. Dans les bas fonds, personne n'aimait les Astra...

Pour la première fois, la jeune fille se demanda alors si la haine qu'elle ressentait pour les princes ne valait pas la peine de prendre quelques risques. Ces gens n'étaient pas des enfants de chœurs, sans qu'elle sache exactement ce qu'ils étaient, et ils sauraient se servir des informations qu'elle pouvait leur offrir...

Elle pouvait contribuer à faire du mal aux princes ! Un éclair traversa son regard et elle sut alors avec certitude qu'elle était prête à prendre le risque de révéler son identité qu'elle avait si bien cachée ces douze derniers mois.

— Alors ? s'impatienta le dénommé Alexandre, troublant le silence qui s'était installé.

Elle ne se tourna pas vers lui, ne lui pardonnant pas de l'avoir obligé à le suivre pour une lettre sans doute fantôme, mais se tourna vers la femme au chignon plus particulièrement.

D'un ton tranquille, elle lâcha du bout des lèvres la nouvelle qui fit l'effet d'une bombe dans la pièce :

— Oui, je suis une noble, si c'est votre question.

Oméga T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant