Chapitre 3

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Alice est belle. A chaque fois qu'elle parle, elle ne peut pas s'empêcher de triturer ses boucles brunes. Elle est petite, mais se fait toujours remarquer sur son passage : ses tâches de rousseur et ses yeux foncés lui donnent un air irrésistible. Lorsqu'on l'étudie bien, ses formes un peu rondes...

« Rah ! » s'exclame Anna. Elle plaque ses mains contre son visage. Elle a pris sa décision : dans quarante minutes, son amie doit la rejoindre derrière le lycée. Elle va lui dire ce qu'elle n'aurait pas dû lui cacher depuis si longtemps.

Elle laisse ses genoux rencontrer le sol froid des toilettes dans lesquelles elle se cache. Son esprit balance entre celle qu'elle aime et celle qui veut absolument les mettre ensemble.

Elle a beau se retourner l'esprit, elle ne comprend pas l'engouement surprenant de sa professeure. Quel genre de tolérance l'a piquée ? Est-ce qu'elle a un proche qui est homosexuel ? Ou alors... Elle l'est aussi ?

Elle secoua la tête. C'est une jeune adulte, après tout : elle ne doit pas dépasser la trentaine, et l'élève a entendu que c'est sa première année dans un lycée... Elle fait partie de leur génération. Seulement, tous les adultes qu'Anna connaît auraient réagi complètement différemment...

« Et merde. L'esprit des femmes, c'est trop compliqué. » Elle lève la manche de son blouson noir. Sa montre indique déjà seize heures quinze. Dans vingt minutes... Le temps passe vite, dans les chiottes. Un long soupir s'échappe de ses lèvres. Finalement, elle se met sur ses pieds et sort dans les couloirs bleus.

Elle n'a plus qu'une chose à faire : aller au CDI. Elle entre dans la vaste salle encombrée d'étagères, toutes pleines à craquer de livres. Quelques fauteuils kakis sont posés par-ci par-là ; au fond, un espace est dédié à quatre tables, chacune entourée de quatre chaises du même bois foncé et grinçant. Un élève aux longs cheveux noirs y est assis.

Anna passe devant le documentaliste aux lunettes en cul-de-bouteille pour rejoindre un rayon au hasard. C'est assez subitement qu'elle se retrouve entourée d'une centaine de romans de science-fiction. Son nez se fronce, elle en prend un au hasard.

« 1984, Eric Arthur Blair..., marmonne-t-elle.

— C'est un bon bouquin. »

Elle se retourne d'un bond. C'est le lycéen, assis il y a encore une minute, qui lui fait face. Elle repère immédiatement son t-shirt à l'effigie de Ted Nugent. C'est un bon.

« Tu l'as lu ? demande-t-elle.

— Non. Mais le prof d'histoire en a parlé. J'allais l'emprunter, mais si tu le veux...

— Non, non, je t'en prie ! »

Elle lui tend immédiatement : il le prend avec surprise. Un fan de Ted Nugent, quoi ! Il lâche un rire.

« D'accord, d'accord ! Je te dirai quand je l'aurai rendu. Ton prénom... ?

— Anna.

— Moi, c'est Jean-Bastien. Enfin... JB, je préfère. »

Elle acquiesce distraitement. JB, fan de Ted Nugent. Son esprit est complètement absorbé par l'imprimé sobrement blanc sur le tissu noir de l'individu.

« Il me faut le même...

— Tu parles du livre ?

— Ah, quoi ? Non ! Je parle de ton t-shirt.

— Tu connais Ted Nugent ?! s'exclame-t-il, récoltant au passage quelques regards mauvais.

— Oui, dit-elle plus bas. Et aussi... »

La sonnerie lui vrille subitement les tympans. Merde, il est déjà temps que je rejoigne Alice ! « Je suis désolée, j'y vais... A plus tard ! » débite-t-elle. Elle se précipite vers la porte. Une main la retient subitement.

« Mademoiselle Martin », articule l'homme qui surveille les lieux. « On ne court pas dans le CDI ! Vous viendrez en colle demain, ainsi que monsieur Pâtureau ! » Elle s'excuse immédiatement. « Et ouste ! »

Oui, oui, ouste, je l'avais bien prévu, maugrée-t-elle intérieurement tout en marchant vers l'extérieur. Elle pousse la porte qui mène dans l'arrière-cour ouverte sur la route. Ses bottes claquent contre le goudron. Le vent secoue alors ses cheveux châtain, et volent quelques feuilles mortes aux vieux chênes qui se dressent sur les côtés. Elle frissonne. Puis, son cœur s'accélère.

Alice l'attend dans son manteau gris. Anna accélère le pas, et arrive enfin à sa hauteur. « Salut », lui dit l'autre, pour ensuite la gratifier d'un petit sourire. Putain, elle est trop mignonne. « Tu voulais me parler de quelque chose ? »

L'adolescente retourne brutalement à la réalité. « Ah, oui », balbutie-t-elle. « Comment dire... » Elle déglutit difficilement. Qu'est-ce qu'elle pensera de moi après ça ? Est-ce que je dois vraiment lui dire ? L'hésitation la gagne... Mais le souvenir de son amie dans les bras de Lucas est trop fort.

Elle se plante donc devant elle, et inspire un bon coup.

« Ça fait un moment maintenant que je te cache quelque chose... Mais j'ai appris hier que tu avais commencé à sortir avec Lucas.

— Je sais que c'est ton ex, je suis désolée, intervient immédiatement la brune.

— Non, non, ce n'est pas ça, le problème... »

Son souffle se saccade. Elle ferme les yeux un moment. Dis-le. Le stress monte ; elle ouvre la bouche. Dis-le ! La pression compresse durement sa poitrine, et ses mains tremblent. Elle serre les poings, décidée.

« J'ai des sentiments pour toi. »

Quelques secondes passent. Le silence ne s'arrête pas. Délivrée d'un poids énorme, c'est désormais l'inquiétude qui se niche au creux de la cage thoracique d'Anna. Elle ouvre de nouveau les paupières, pour faire face à une Alice prise au dépourvu.

« Je vois... », finit-elle par murmurer, le regard fuyant. « Je suis désolée... Enfin, non ! Je veux dire, je ne savais pas que tu étais lesbienne, quoi... » Elle lui jette un œil, manifestement gênée. Le cœur de la jeune fille fait mal.

« Des gens sont au courant ?

— Non... Je pense qu'il vaut mieux le garder secret.

— Oui, je comprends... »

De nouveau, un instant de mutisme. L'embarras est à son paroxysme. « Eh bien... Je tiens à te dire que je respecte tout à fait, hein ! Je ne suis pas homophobe... Mais je ne partage pas tes... Tes sentiments. »

L'intéressée ne peut qu'acquiescer, mais la douleur rugit au fond d'elle. Son amie lui adresse un autre sourire, fait volte-face et sort de l'enceinte du lycée sans un mot de plus. Anna reste seule avec sa tristesse.

Il fallait s'y attendre. Elle baisse la tête, et retourne à l'intérieur. Au moins, c'est dit... Elle traverse le hall pour sortir de l'autre côté.

La brise se lève, mais me froid ne l'atteint plus.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant