Chapitre 34

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Ce cours-ci d'italien pourrait être parfaitement normal. Anna l'a à demi espéré. La salle de classe n'a pas changé, après tout : murs blancs, tables et chaises de bois gravés de mille conneries, tableau d'ardoise noire, fenêtres donnant sur cette belle cour intérieure aux arbres tout enneigés. Tout le monde a fêté le Nouvel An, elle comprise. L'année 1980, dans cette ville de campagne, devrait s'annoncer classique...

Mais c'est sans compter la photo de l'adolescente sur la Une du journal local.

Dès qu'elle a fait un pas das ce lycée, elle a été bombardée par beaucoup trop de paires d'yeux. Gris, bleus, sombres, noirs, noisette, ambre, verts : tout, elle s'est tout pris. Elle a pu y déceler de l'anxiété ; de la stupeur ; de la curiosité dévorante ; parfois, un soupçon de méfiance ou de dégoût.

Alice, étant passée par là, l'a simplement fuie, et Lucas a suivi en gratifiant la blessée d'un air confus au possible. « C'était vraiment toi ? » y a-t-elle lu. Hochement de tête, arrivée de Gigi et de Jean-Bastien, fin de cet échange bref, le premier depuis son foutu « tout va bien ? » ô galant. Le gars est-il si populaire qu'il craint qu'une seule nana ne s'intéresse pas à elle ? Non... Je n'en sais rien.

JB, lui, s'est avéré particulièrement mal à l'aise. En effet, le Pâtureau des forces de l'ordre s'avère faire partie de sa famille. Son oncle. Voici pourquoi il ne fréquente quasiment plus le Lumière Rouge, et n'est pas venu à la manifestation. Et, en parlant de manifestation, Anna en est privée – ou plutôt, on lui a fortement déconseillée d'y aller...

Enfin, elle se retrouve désormais au premier cours d'italien de la semaine, à la rentrée même des vacances de Noël. Lundi. Le soir même, elle aurait dû avoir boxe. Cela est mal parti, avec un poignet cassé. Et, non seulement la classe est-elle bien trop silencieuse face au cours de Madame Lenoix, mais surtout cette dernière lui a-t-elle servie un regard peiné dès son entrée. Et elle continue de lui en jeter, à chaque fois qu'elle fait face à ses élèves !

Ça sent le « on va parler cinq minutes »... Anna prend toutefois le cours avec rigueur. Elle a un baccalauréat à passer, à avoir, et à s'en libérer. Après cela... Après cela, Madame Lenoix, enfin. Elle ignore tout de sa main assaillie de vagues douloureuses.

Ses iris bleus, lorsqu'ils ne rencontrent pas le brun de son enseignante, observent tout de ce qui est écrit au tableau, et dicté en italien. Elle a même suivi les exercices et les corrections de son professeur de mathématiques.

Mine de rien, dès qu'on s'y intéresse de plus près, le programme n'est pas si mal. Voire plaisant. Elle a compris le souci qu'elle et sa promotion rencontraient avec les équations différentielles. Le bougre est passé bien trop vite sur les primitives de fonctions, comment peut-on s'en sortir sans cela ? Et l'histoire, et l'anglais, et la biologie, et la physique, surtout la physique, elle les a passés au peigne fin.

Poussée par cette motivation amoureuse, elle va jusqu'à laisser l'ambition s'enraciner chez elle.

Elle ne voit pas le cours passer. Elle fait de son mieux pour ne pas étudier cette éternelle jupe raide à carreaux bruns de Madame Lenoix. Elle sied parfaitement sa taille fine. Cette chemise blanche cachant sa petite poitrine, le long manteau marron à gros boutons noirs sur le porte-manteau, les bottes qui claquent contre le plancher... Non, elle doit les ignorer. Pour le moment.

Les minutes défilent à une vitesse folle, et son cœur court un marathon, à tambouriner contre son pauvre thorax. Chaque lettre que grave son stylo-plume sur son cahier déjà fourni en témoigne. Chaque mot sorti des lèvres écarlates de Madame Lenoix les distord. A peine Anna réalise-t-elle qu'elle a écrit la liste des devoirs maisons juste en-dessous d'une phrase en italien.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant