Comment diable Anna, en ce jeudi vingt décembre 1979, a-t-elle accepté de se retrouver au centre de documentation de son lycée ? Là-bas doit-elle rejoindre Ginette... après son cours d'italien. La bougresse lui a simplement posé cette entrevue. Sans mentionner un quelconque sujet. « J'ai besoin de toi », lui a-t-elle sortie une semaine plus tôt – et c'était tout !
Puis, elles ont dormi normalement, avec une distance formelle d'au moins trente centimètres entre elles deux. Une bonne chose de faite : Anna n'aurait pas aimé servir de polochon. Même si la présence de la punk ne s'est pas avérée si agaçante que cela. Elle a même pu étouffer la dispute de ses parents au rez-de-chaussée, puisque la châtaine a ensuite passé du Black Sabbath afin de voir la réaction de Gigi.
Elle a un peu râlé, mais a fini par faire profil bas dans des grommellements. Le lendemain, elle est sagement rentrée chez elle, et – paraît-il – a sagement appelé les policiers. De cela, elle en doute.
La lumière de la salle se coupe subitement. Anna relève la tête : elle voit de nouveau les rangées de vieilles tables de bois, le bureau pas mieux loti sur l'estrade d'en face, le tableau noir... Et, surtout, Madame Lenoix. Ou, tout du moins, sa silhouette fine.
Cependant, le regard qu'elle lui lance, Anna ne le rate pas. Ni son bref sourire, typique du « je t'ai vue, tu n'écoutais pas ». Elle détourne ses propres iris bleus. Ses joues chauffent à feu doux, son cœur s'emballe. Elle veut vraiment que je subisse un arrêt cardiaque.
« Puisque presque aucun de vous ne semble au point sur la compréhension orale en italien, vous allez vous concentrer uniquement sur l'extrait audio que je vais passer. » Un petit « clac » indique à la classe qu'elle vient d'insérer une cassette dans le pauvre poste que leur procure leur école. Puis, elle la met en marche. Puis, quelques grésillements.
Anna écarquille les paupières : c'est bien une guitare acoustique qu'elle entend.
Des exclamations surprises s'élèvent autour d'elle. Elle peut comprendre ses camarades. Madame Lenoix, passer une ballade en classe ? Une voix s'élève difficilement au-dessus de ces notes simplissimes. De l'italien. Naturellement.
Mais elles envahissent tout de même le crâne de l'adolescente. Elle se laisse porter par ce pauvre morceau de rien. Les cordes électriques débarquent avec souplesse, la batterie suit la guitare, la guitare sèche revient, le chant déverse de nouveau ses paroles rondes parcourues de faux -l et autres -ch. Il continue, continue, lui et sa mélancolie si palpable saupoudrée de vibratos frôlant le triste. Puis, alors que les percussions s'affolent de nouveau...
La musique se coupe brutalement. Anna en sursaute presque, arrachée des scènes tournoyant dans son imaginaire. Elle s'est vue, aux côtés de la petite blonde, main dans la main. Son cœur penche entre le ravissement et la douleur. « Bien. Qu'est-ce que vous avez compris ? » Silence radio. Elle vient... de passer du rock. En classe. Peu commun, mais des étoiles naissent finalement dans ses pupilles.
Personne ne lève la main. Madame Lenoix attend ; plus les secondes passent, plus ses doigts fins se crispent sur sa chemise blanche.
« Dai ! Jouez pas aux poissons avec moi !
— C'était... incompréhensible, se risque enfin quelqu'un.
— Mais il chante clairement, le bougre. Personne, vraiment ? Repérez au moins le titre ! »
Anna lève faiblement la main : les prunelles brunes de son enseignante brillent presque. Elles s'observent un instant, un court instant, avant que l'adulte n'acquiesce. « ... Città Grande ? » Un « si ! » ravi sautille de la bouche rouge de Madame Lenoix.
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Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]
Romance1979. Anna est une lycéenne de Terminale C dans une petite ville de campagne. Sa famille et sa scolarité sont plutôt classiques ; néanmoins, elle a un secret qu'elle garde farouchement. Si son homosexualité est dévoilée, c'est tout l'équilibre fragi...