Ce quelqu'un les ayant accostés dès leur entrée dans le bistrot, Anna et Gigi l'ont rejoint à une table isolée. On chante, on scande, on boit, pour le reste de la foule : mais eux trois sont installés autour d'une petite table carrée. Lui – ou plutôt, elle – a commandé un Coca-Cola, à la grande surprise des lycéens. Eux ont simplement pris une limonade, et cela leur paraissait bien évident.
Et puis, je ne veux pas voir un Gigi bourré. Pas alors qu'il traîne dans cet état !
Il a d'ailleurs été pris de court par la proposition d'Anna. Désormais, il semble ne plus savoir où se mettre. « Je suis passée par là », assure encore Jeanne – originellement Jean. Il acquiesce pour la dixième fois depuis le début de leur conversation. « Mais j'ai presque quarante ans... Alors, c'était très dur. Je n'étais pas comprise, je me cachais constamment. J'ai dû apprendre à vivre avec mon corps, et je resterai dedans jusqu'à ma mort. Mais aujourd'hui, les choses ont changé, pour vous, les jeunes ! »
Elle ouvre grand les bras. « Regarde. Voici ce qu'on appelle une safe place. Ici, tu peux être qui tu veux. Et tu l'as même sauvée, avec ton amie. Enfin... » Elle prend une petite gorgée de son soda, comme pour en savourer la moindre goutte. « Je pense quand même que tu as besoin de plus que ça. »
Le punk se raidit légèrement. Anna, elle, garde un œil soucieux sur lui. Il ne semble pas récalcitrant. Cependant, il reste passif. Je ne peux pas espérer trop d'un coup. Je le sais... « Je connais une association pro-LGBT sur Lyon, le Groupe de Libération Homosexuel, notamment soutenue par une poignée de psychologues libéraux très ouverts sur la question. »
Les yeux verts du garçon s'écarquillent.
« Non ! se précipite-t-il. Je n'ai pas besoin d'aller jusque-là ! Mon cas... je veux dire... ce n'est pas grave...
— Ta vie est en danger, tranche son interlocutrice. Si ta copine était dans ta situation, tu ferais pareil qu'elle, non ? »
Il ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Il semble battre en retraite. En réalité, il va jusqu'à hocher la tête, puis étudier ses genoux frêles.
« Je peux te donner les coordonnées de cette organisation. Je te le promets, ils sont doux comme des agneaux ! Les professionnels qu'ils connaissent se trouvent certes à Vienne...
— C'est à quarante minutes de route, gémit-il. Et... le coût des consultations...
— Non, non, l'arrête sévèrement Jeanne. Si tu ne peux pas les payer, ils couvriront une partie des frais.
— Mes parents ne voudront peut-être pas conduire aussi loin...
— Ne te moque pas de moi ! Je les connais, Roger et Colette. Ils t'aiment. »
L'intéressé serre les dents à s'en rougir les joues. Et les yeux en prime : ils tournent de nouveau à l'humide. La figure rectangulaire de Jeanne s'adoucit. « Allons, allons, murmure-t-elle en lui tapotant la tête. Tout ira bien, je te le promets. Parole de trans', haha ! » Par miracle, elle réussit à lui arracher un sourire. Anna se retient de soupirer sous le soulagement. Voici d'excellentes nouvelles qu'elle pourra rapporter à Madame Lenoix.
« Alors, je vais te les chercher, ces contacts ? » reprend vivement la quasi-quadragénaire. Quelques secondes d'hésitation. Puis, le noiraud acquiesce faiblement. « Parfait. Ne bougez pas de là, vous deux. » Et elle se dirige droit vers... Paul, reconnaît Anna à sa touffe blonde et ses jambes un peu rondouillardes. Paul, vraiment ? Alors, où est Théodore ? Pas en vue, en tout cas.
Elle ne demande pas même ce que le gugusse a à faire avec l'association en question. Il squatte certes la salle tant de jeu qu'administrative... Et certains papiers doivent être en lien avec cette organisation dont Jeanne parle. Sa conjecture s'en voit presque confirmée, lorsque Paul acquiesce, et grimpe à l'étage, son visage rond tout concentré.
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Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]
Romance1979. Anna est une lycéenne de Terminale C dans une petite ville de campagne. Sa famille et sa scolarité sont plutôt classiques ; néanmoins, elle a un secret qu'elle garde farouchement. Si son homosexualité est dévoilée, c'est tout l'équilibre fragi...