Chapitre 15

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Anna reste longuement bouche bée, le téléphone gris collé contre son oreille. Même au travers de ses longues mèches châtain, elle peut entendre toute la détresse de la jeune fille qui avait appelé chez elle.

« Anna, est-ce que tu es là ?! » s'affole-t-elle encore. L'intéressée sursaute presque.

« Oui, bredouille-t-elle. Qui est-ce ?

Je suis dans la rue de l'Olivier..., débite-t-elle à la place d'une voix tremblante, parsemée de parasites. Dans une cabine téléphonique... Il y a un type... Tu fais de la boxe, n'est-ce pas ?!

— Un... type ? »

Elle écarquille les paupières, et se tourne vers son père. Là remarque-t-elle que tous les yeux des invités sont rivés sur elle – et en particulier ceux de Marcel, dont la sévérité ne l'effleure même pas. « Une amie à moi », lâche-t-elle. « Dans la rue de l'Olivier. Suivie par un type. Elle voudrait que... »

Sa mère se lève brutalement ; tous sursautent, les deux compagnons mis à part. Eux n'échangent pas un regard. Nadine observe Marie de ses prunelles vertes, Georges dévisage Marcel en tripotant machinalement ses mèches rousses et ébouriffées. Christian, lui, se contente de détailler la scène de ses iris globuleux et simplets.

« Marcel... chéri. On ne peut pas... » Celui-ci se dirige à grands pas vers leur entrée étroite à la même tapisserie jaunâtre, et enfile son manteau gris d'un geste. Ce seul fait cloue Anna sur place. Il... vient d'accepter... d'aider quelqu'un ? « On y va », jette-t-il. « Anna. » Sur cet ordre implicite, il attrape ses clefs de voiture, et sort dans l'hiver glaçant. Si sa fille reste un moment pantoise, elle ne met pas longtemps à suivre.

Le vent froid la frappe de plein fouet. Quelques flocons pointent, dans la lumière blafarde des lampadaires. Anna grelotte, mais suit son paternel avec précipitation. Un claquement sec de portière plus tard, il démarre le moteur dans un grondement sourd, et s'engage vivement dans la rue au goudron luisant, flanquée de bâtisses toutes aussi modestes que la leur.

La lycéenne sent à peine le tissu rêche et frais sur lequel repose son fessier. Peut-être est-ce grâce à son jean épais, ou à cause de l'angoisse qui la ronge jusqu'à la pousser à se mordiller les ongles. Toujours est-il que les ruelles droites comme des I s'enchaînent vite, vite, vite autour d'elle et de Marcel, qui laisse échapper des soupirs agacés à chaque stop.

Puis, enfin, arrive cette fameuse rue de l'Olivier. Manque de bol, elle est connue pour son obscurité, et autre absence de personnes. En bref, un lieu isolé. Ils ne manquent toutefois pas la cabine téléphonique, coincée contre des briques rouges.

Il y a une fille, dedans. Les paupières d'Anna s'écarquillent dès qu'elle reconnait les cheveux noirs et à demi rasés, la petitesse, et le style dévergondé de la punk qui fout le bordel dans sa vie. Et tu ne veux toujours pas me dire ton putain de prénom ?!

Plus loin, une silhouette d'homme au ventre à bière se dissimule à moitié derrière des poubelles. Elle ne voit pas son visage. Elle remarque simplement les yeux verts de l'adolescente, qui la fixent dans une peur très, très explicite. Marcel s'arrête sur un trottoir dans le plus grand des calmes, et jette un œil à Anna. « Tu y vas », traduit-elle. Merci pour le soutien. Elle sort donc de la bagnole, le cœur battant.

C'est définitif, elle ne perçoit rien des courants d'air filtrant au travers des mailles de son pull.

Elle inspire longuement, et marche jusqu'à la cabine avec un faux sourire. Puis, elle toque contre la vitre translucide, non sans observer brièvement son suiveur. Là voit-elle ses gestes répétitifs au niveau de son entrejambe. Une envie de vomir se saisit d'elle, elle entre aux côtés de la pseudo-inconnue sans montrer grand-chose de son sentiment.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant