Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]

Chapitre 41

Il y a trois jours de cela, en cette soirée bouleversée, Anna est parvenue à convaincre Gigi de la laisser contacter ses parents. Elle leur a expliqué la situation – sans leur révéler sa transsexualité. Faire son coming-out à sa place est hors de question. Il est allé jusqu'à lui promettre de mettre les pieds dans le plat, avant de rentrer chez lui, en sécurité, auprès d'un père plus qu'affolé.

Là les parents d'Anna ont enfin daigné descendre pour avoir des explications. Mais que pouvaient-ils dire d'une situation pareille ? La seule chose à leur portée a été de retourner se coucher... En l'exhortant de faire de même, puisque « tu as cours demain ».

Désormais, le week-end a pointé le bout de son nez. Ce jeudi vingt-sept mars 1980, le journal du coin est sorti : une édition spéciale « La manifestation inédite du mercredi dix-neuf mars ». La lettre ouverte y a été postée sans aucun changement, et la liste des signatures également. Dans une ville de sept mille cent cinquante-deux habitants, environ quarante pourcents d'entre eux ont validé le contenu de cette missive. Plus précisément, deux mille huit cents soixante-trois personnes.

Une première. Anna en a béé durant quinze bonnes minutes, et a relu cet article une dizaine de fois. Elle n'a jamais ressenti un soulagement et une joie pareils auparavant. « Si le conseil municipal ne se bouge pas après ça, ils sont vraiment bouchés ! » a-t-elle même clamé à ses parents.

Et, ce jeudi vingt-sept mars 1980, elle le marquera à jamais d'une pierre blanche.

Cela l'a même poussée à aller voir Madame Lenoix dès le lendemain. Sa professeure a tout autant partagé son entrain, non sans avoir pris le soin que tous les élèves aient décampé et qu'Anna ait elle-même feinté son départ. Les rumeurs auraient trop vite fait de courir dans le lycée. Les laisser imaginer une relation amoureuse entre elles deux serait, au bas-mot, catastrophique.

L'adolescente est désormais assise sur son canapé, une bande dessinée dans les mains. Le Scrameustache, comme a lu Christian, cher neveu de Georges et Nadine. Toutefois, il est impossible à la châtaine de se concentrer dessus. Son entrain est mitigé par l'inquiétude : elle n'a pas vu l'ombre de Gigi, à l'école.

Que doit-elle faire ? Appeler ses parents ? Elle a plusieurs fois reluqué leur numéro de téléphone, sans jamais oser mettre cette idée en place. Son coeur s'emballe trop vite. Elle bafouillerait, serait peut-être même incapable d'aligner deux mots. Et si elle les dérange ? Si Gigi se sent affreusement mal ?

Bon sang, Anna, bouge-toi les fesses !

Elle appuie sa nuque sur le dossier moelleux du sofa en soupirant. Là-dehors, il fait grand soleil. Son père tond la pelouse, un air renfrogné plaqué sur sa face carrée et... toujours aussi dure. Sa mère, elle, tente de planter des fleurs afin d'égayer leur pauvre jardinet. L'adolescente est seule, entre les murs jaunes et fleuris, et le tantôt faux, tantôt authentique bois des meubles inondés par les rayons lumineux du printemps naissant.

Elle-même sent ses mèches auburn commencer à chauffer. Son débardeur ne lui est pas d'une grande aide : les cloisons de leur maison sont assez loin d'être isothermiques. Il faudrait régler ça. Non. Elle détourne encore son attention des quelques soucis centraux qui restent sous son nez ! Le bien-être de Gigi, et leur rupture qu'elle doit finaliser, elle doit s'en occuper aussi rapidement que possible. Devrait-elle l'inviter à venir chez elle ? Causer de tout cela via un téléphone lui paraît inapproprié. Mais si je n'ai pas le choix...

Ses iris clairs se plantent sur son plafond aux poutres sombres. Ou je peux attendre lundi, songe-t-elle, la gorge nouée. Oui, ça doit être le meilleur plan. Si je dérange Gigi maintenant... Peut-être qu'il a besoin d'être seul un moment, après tout. Mais elle, saura-t-elle attendre ? L'anxiété la ronge, elle ne peut pas l'ignorer. Être à la fois tentée et récalcitrante lui retourne le cerveau. Paraît-il que l'esprit humain déteste les paradoxes...