Chapitre 43

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« Yo, Gigi ! » s'exclame Anna avec énergie. Elle vient tout juste d'ouvrir la porte de la chambre éternellement assombrie du bonhomme, et y entre avant qu'il ne prononce un seul mot.

Elle manque certes de buter sur ses fichues affaires éparpillées un peu partout. Son lit simple est certes encore en bazar, et l'énergumène est certes enfoncé sous ses couvertures. Toutefois, ce jour-ci, la jeune fille ne compte pas s'arrêter sur ces éléments qui, auparavant, ont commencé à l'irriter. Là, elle se rameute avec une potentielle solution, et ce fait seul l'allège considérablement.

Elle espère que son engouement sera ne serait-ce qu'un peu contagieux.

Cet engouement-ci pousse d'ailleurs le punk à s'asseoir sur son matelas, les yeux à demi ouverts et les cheveux ébouriffés. Il a cessé de les couper. Son côté rasé n'est plus rasé, et ses mèches corbeau descendent en-dessous de son menton. Il semble qu'il n'en a plus rien à faire. Mais, rassure-toi, tu ne resteras pas dans cet état.

Toutefois, ses cernes, sa pâleur cadavérique, et le rouge gonflant ses paupières, mordent le coeur d'Anna. Non. Ne t'arrête pas là-dessus. Elle enjambe les habits lui faisant obstacle, et ouvre avec plus de douceur les rideaux de la fenêtre. Elle peut remercier le soleil d'être présent ce jour-ci, et de rebondir sur les murs sombres de la pièce.

Cette fois-ci, Gigi n'émet aucun grognement. Il paraît plus mort encore que le week-end précédent. La lycéenne se raidit à cette vision. Reprends ton calme..., s'ordonne-t-elle. Elle se remémore le visage, les paroles, le ton doux de Madame Lenoix. Et ses conseils, surtout. Au souvenir de leur discussion de la veille, les battements de son coeur s'allègent. Elle s'assit à côté de son ami, pour l'enlacer en guise de seconde salutation. Il se laisse faire. Passif. Il est passif.

« ... Salut », finit-il pourtant par énoncer d'une voix enrouée. Anna acquiesce simplement. Et se détache de lui, pour lui servir un petit sourire. Ils ne font pas grand-chose, lorsqu'elle vient lui rendre visite. Il gratte un peu sa guitare, ou lui fait découvrir un ou deux groupes, s'il est dans le meilleur de sa forme.

« Ah..., soupire-t-elle. J'ai eu le pire cours d'anglais de toute l'année. Notre prof était malade, on a eu un remplaçant. Je crois qu'il est trop jeune pour tenir face à une classe... La moitié dormait, et l'autre bavardait ! J'ai eu beau tenter de suivre...

— Je vois, murmure l'autre.

— Mais il y a pire.

— Comme... ? »

Elle croise les mains devant son menton dans un sérieux tombal. « Y a de plus en plus d'abeilles, dehors. » Long silence. Anna reste immobile. Les secondes s'enchaînent, toujours plus lourdes. Anna sent ses joues chauffer... Mais je reste immobile. Et de la sueur couler le long de son dos. Rester immobile !

Jusqu'à ce que le noiraud n'émette un court rire. « Tu as quoi, six ans... ? » sourit-il. Elle entrouvre imperceptiblement les lèvres. A chaque fois qu'il montre un quelconque sentiment positif, elle a l'impression d'avoir gagné un dur match de boxe.

« Peut-être, répond-elle dans un rictus. Mais je reste plus grande que toi.

— C'est injuste, ça », marmonne-t-il.

Elle se contente de lui tapoter le crâne dans une compassion obséquieuse. « Il paraît, il paraît. » Et ses paroles flottent entre eux. Il faut lui proposer ce qu'a dit Madame Lenoix..., se répète-t-elle, la gorge nouée. Ses iris bleus détaillent la face d'autant plus anguleuse qu'avant de Gigi. Vraiment. On dirait même qu'il mange encore moins qu'avant. Ça ne peut pas durer. Alors...

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant