Chapitre 1

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Frais matin d'automne. Anna est assise sur son lit, les yeux rivés à la fenêtre. Au-dehors, les quelques feuilles mortes restantes tourbillonnent dans la lumière du lampadaire, et le ciel est noir. C'est bientôt l'hiver.

Une brise fraîche lui parvient du simple vitrage qui la sépare de l'extérieur. Elle frissonne. Son réveil indique sept heures douze : il est temps de se lever. C'est avec regret qu'elle quitte ses couvertures marron pour le plancher.

Cette nuit, elle n'a pas beaucoup dormi. Le tic-tac de l'aiguille des secondes n'a cessé de résonner dans sa tête. Si seulement les réveils étaient silencieux... Elle descend les marches grinçantes de l'escalier sombre.

Son père est assis à la table de leur petite cuisine encombrée. Au transistor, c'est Il jouait du piano debout qui passe. L'adolescente fronce le nez, et se sort un fromage-blanc de leur frigidaire orange. La voix de France Galle dès le matin, c'est presque trop.

« Et pour quelles raisons étranges, les gens qui n'sont pas comme nous, ça nous dérange... »

Anna se raidit. « Les gens qui n'sont pas comme nous », hein ? Elle regarde son yaourt avec peu d'envie. Sa cuillère hésite, puis plonge enfin dedans.

« Et pour quelles raisons étranges, les gens qui pensent autrement, ça nous dérange... »

La chanson s'arrête brusquement, coupée par le bourdonnement de bruits parasites. « Et flûte », jure son père, dissimulé derrière son journal. Il éteint la radio, laissant sa calvitie à découvert.

Marcel est un homme plutôt grand, au visage carré et dur. Il travaille à l'usine de conserves du coin. La mère d'Anna, Marie, a déjà des cheveux blancs dans sa tignasse châtain et bouclée. Elle est femme au foyer, et reste le plus souvent entre les murs de pierres froides de leur maison. Une famille tout à fait classique, en somme.

Avec ses longs cheveux lisses et ses yeux bleus, Anna, quant à elle, jure avec le reste de sa famille. Si sa mère porte des jupes strictes, elle reste fidèle à ses jeans larges en patte d'éléphant et à ses t-shirts imprimés. Ses cassettes de Black Sabbath, ses parents en ignorent peut-être même l'existence ; et la croix qui pend au collier doré qu'on lui a offert à son baptême repose au fond d'un tiroir depuis longtemps.

Elle se lève. Elle a eu de la peine à finir son petit déjeuner, mais le pot de verre est enfin vide. Elle le dépose dans l'évier qui goutte depuis des mois et repart à l'étage. « Tu penses qu'elle a un petit ami ? » entend-elle sa mère murmurer. Ici, les murs sont en papier.

Et de nouveau, son cœur la serre. « Un petit ami », « un copain ». Ses parents sont bien loin de deviner ce que leur fille leur cache depuis trop longtemps.

Elle reste indéfiniment dans le placard, coincée entre les manteaux lourds et les mites. A l'extérieur, c'est trop dangereux.

Après s'être lavée, elle sort enfin dans l'air glacé. Son lycée n'est pas loin. Elle a juste à traverser deux rues, et la voilà arrivée en face des hautes grilles blanches. Il fait encore nuit dehors. Elle entre dans les bâtiments, et fonce immédiatement au premier étage. C'est toujours calme, ici. Il ne devrait y avoir personne...

Et pourtant, deux personnes qu'elle connaît trop bien sont en train de s'enlacer, au fond du couloir carrelé. Ses yeux s'écarquillent, son sac claque au pied de ses bottes. Lucas et Alice... Les larmes lui montent. Elle récupère ses affaires et part en courant.

Une vingtaine d'élèves plus tard, elle déboule enfin près des salles de physique-chimie. Elle est essoufflée, mais trouve encore l'énergie pour frapper brutalement le mur. « Aïe ! » s'écrie-t-elle. « Putain de merde ! »

Des pas se font alors entendre derrière elle. Une main se pose sur son épaule, et une voix inquiète s'élève. Elle l'a déjà en horreur.

« Tout va bien ? » demande Lucas.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant