Chapitre 39

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C'est pâle comme un linge qu'Anna observe la scène. Durant une fraction de seconde, les yeux verts de Gigi se plissent. Madame Lenoix, elle, reste simplement figée. La jeune fille peut lire, au fond de ses iris bruns, toute la crainte qui la saisit. Elle doit espérer du plus profond de son être que ce qu'elle considère comme être une élève banale ne l'a pas vue faire une déclaration d'amour implicite à la châtaine.

Pourtant, alors que cette dernière s'est attendue à ce que la tension monte à l'image de la dernière fois qu'elles se sont croisées, le punk baisse simplement ses épaules frêles, et son petit menton en prime. Face à cela, enseignante comme lycéenne affichent une expression stupéfaite.

Lui, le bougre d'apparence insupportable, vient de battre en retraite ? Le cœur d'Anna se serre avec douleur. Elle se sent étrangement déchirée. Pourquoi ? Est-ce car tous les gestes affectueux que lui offre le plus petit lui reviennent brutalement en mémoire ?

Oui. Pour sûr. Elle se sent plus honteuse que jamais. Elle a l'impression d'avoir trompé Madame Lenoix et Gigi. Elle souhaite tout bonnement disparaître de la surface de la Terre. Ce n'est que désormais qu'elle remarque la tristesse modelant les traits anguleux de son partenaire. Et, puisque cette vision lui est très, trop familière... Je le blesse depuis le début..., réalise-t-elle laborieusement.

Il lui a offert son corps, lui a dévoilé son côté si doux et attentionné, lui a confié toutes ses peines quant à sa transsexualité. « Ne l'oublie jamais, que tu es une personne en or, quels que soient les événements qui suivent », a-t-il même sorti. De quels événements parlait-il ? Ce n'est lié ni au Lumière Rouge, ni à cette manifestation houleuse.

Elle veut savoir de quoi il en retourne ; mais la peur la prenant aux tripes l'en empêche fermement.

« Je vous laisse », annoncent alors en chœur Gigi et Madame Lenoix. Anna ouvre la bouche ; ses yeux brûlent doucement. « Non... », souffle-t-elle, la lèvre tremblotante. Mais aucun des deux ne l'entend. La blonde fait volte-face, le noiraud commence à partir dans l'autre direction. Ils n'ont pas même remarqué qu'ils ont sorti la même chose, au même instant.

Elle bloque. Le temps tourne au ralenti. La foule dense et mouvante s'apprête les dévorer. Et son cœur, lui, se tord avec urgence. Ses mâchoires se contractent sèchement sous cette pression à la limite du supportable : sans réfléchir une seule seconde, elle attrape l'épaule de l'un et de l'autre, et les retient avant qu'ils ne franchissent les limites de leur cocon étouffant.

A ce simple contact, celui-ci éclate en mille morceaux, et les bruits environnants explosent à ses tympans. Le regard, l'immobilisme stupéfaits des deux quasi-rivaux, s'en voient presque avalés. « Pourquoi partir ? rit nerveusement la châtaine. Manifestons ensemble ! » Confusion totale. Les intéressés s'arrêtent.

« Pourquoi ? bredouille Gigi. Toi et Madame Lenoix parlaient !

— Non, vous comptiez vous rejoindre, les filles ! gronde l'enseignante.

— Mais peu m'importe ! » s'écrie Anna.

Sa propre véhémence la fait sursauter. Elle déglutit, plus mal à l'aise que jamais. Gigi a compris qu'elle en pince pour Madame Lenoix ; Madame Lenoix découvre la relation qu'ils partagent. Cependant, ne peuvent-ils pas mettre ces fichues amourettes de côté, pour un instant ? N'y a-t-il pas plus important, sous leurs yeux ? Le Lumière Rouge, leurs droits mêmes ? Peut-être Anna se met-elle des œillères ; néanmoins, elle sait tout autant quelles devraient être ses priorités.

« Nous ne sommes pas ici pour se quereller », martèlent ses prunelles ciel et troublées. « On verra ça plus tard. » « On attend monsieur le maire, non ? » les presse-t-elle. Je ne veux perdre... aucun de vous deux... Mais je me pencherai sur ce merdier plus tard...

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant