Chapitre 35

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Il fait froid, là-dehors. Chaque courant d'air manque de glacer Anna. Elle avance à grands pas dans sa rue étroite au goudron recouvert d'un verglas dangereux. Les maisons modestes de briques rouges défilant autour d'elle sont tout aussi blanches. L'hiver les frappe, février les attend au tournant.

Derrière elle suit un Gigi dont elle sent trop bien le regard anxieux. Ils vont rentrer chez elle, et faire leurs devoirs ensembles. L'adolescente aurait mille fois préféré étudier à la bibliothèque, mais ses parents – définitivement au courant de leur relation – veulent la garder à l'œil. Elle aurait voulu ramener Jean-Bastien... et il a fallu qu'il refuse !

Malgré elle, elle observe avec inquiétude des alentours figés sous ce ciel gris. Les affiches du Lumière Rouge ont été placardées. Leur lettre est passée dans le journal. Elle y a dédié un paragraphe, et presque tous les habitants la dévisagent avec des expressions toutes plus différentes les unes que les autres. Ce n'est cependant pas ce qui trouble Anna.

Madame Lenoix est bien plus froide qu'auparavant, et les regards qu'elles échangent sont contenus, ou détournés, ou ignorés. La jeune fille a terriblement peur. Peut-être l'a-t-elle déçue, au final. Non, l'adulte lui a démontré ses craintes. Et pourtant, elle écourte le moindre échange entre elles, muet ou pas ! Et ce seul fait ronge hideusement la châtaine.

Au Lumière Rouge, on a bien repéré sa mauvaise mine, et lui a demandé ce qu'il se passait. Elle a balayé la question. Il en a été de même pour Marcel et Marie. En aucun cas ne mentionnera-t-elle son enseignante. Elles risquent trop gros...

... mais cette promesse entre elles deux, est-elle toujours d'actualité ? Anna souhaite les préserver ; toutefois, elle n'a personne à qui se confier. Et, petit à petit, quand bien même Ginette lui montre toujours plus d'affection, la solitude l'enserre dans son étau vicieux. Tiendra-t-elle seulement ?

Je ne sais pas. Je ne sais pas !

Une bouffée de chaleur la tire brutalement de ses pensées. Elle relève la tête avec stupeur, pour rencontrer le porte-manteau plaqué contre le papier-peint jaune dans lequel elle a failli se cogner. « Anna... ? » hésite Gigi. L'intéressée soupire simplement, et pose son sac de cours sur le carrelage brun et orange.

Seule Marie est présente. Son père est encore au travail, à s'occuper de boîtes de conserve. Lorsqu'elle voit la quinquagénaire au téléphone, un air sombre collé sur son visage anguleux, elle saisit illico de quoi il en retourne. Ses grands-parents n'ont de cesse de les appeler. Chaque jour. Chaque soir. Ils arriveront bientôt à court de menaces, espère la lycéenne.

« On va dans ma chambre », abrège-t-elle donc auprès du punk. Celui-ci fait tourner ses quelques mèches corbeau autour de son index pâle. Il faut encore qu'il se débarrasse de son blouson en cuir, certes. Et, comme la dernière fois qu'il s'est pointé ici, il attend sagement sa permission. Elle se retient de montrer son faible agacement, et hoche la tête.

Après l'aide-t-il à enlever son manteau, à elle. Elle n'aura bientôt plus de plâtre, mais elle a encore besoin d'un coup de main. C'est agaçant. Elle n'aime pas cela. Elle ne peut pas participer d'elle-même aux actions extérieures du Lumière Rouge, et doit se contenter d'y aller en catimini. Pas une seule fois n'y a-t-elle croisé Madame Lenoix : elle en est à la fois déçue et soulagée.

Au moins ces deux sentiments parviennent-ils à remplir le vide affreux s'installant dans son coffre.

On ferme la porte d'entrée. On reprend ses affaires, grimpe cet escalier sombre, entre dans la chambre d'Anna. Laquelle s'assied à son bureau de vieux bois sans attendre. A défaut de se prendre la tête dans la main, elle laisse son compagnon de quelques semaines sortir ses cahiers, à elle, encore.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant