Chapitre 10

922 75 25
                                    

« Vous faites quoi ici ? »

Si la peur la terrasse d'abord, un sentiment urgent la frappe dès que leurs nez se rencontrent. Son poing part de lui-même, et lui fout un uppercut dans le menton. Il recule. Son visage étonnamment rond se tord en un air terriblement apeuré. Mais il n'a pas le temps de temps de fuir qu'elle enchaîne avec une mandale de daron. Cette fois-ci, il tombe par terre, sonné.

« Non mais ça va pas ! » s'écrie alors un autre individu. Un petit blond arrive en courant, et s'agenouille immédiatement auprès de l'inconnu... Qui est secoué de sanglots. « Ça va, Albert, tout va bien... » Puis, il la fusille du regard. « Il est trisomique. Vous n'avez aucun droit de le frapper ! »

Elle écarquille les yeux.

« Trisomique... ?

— Oui ! Vous avez un grain, vous ! Qu'est-ce qu'il vous a fait pour qu'il mérite ça ?

— C'est juste que..., bredouille-t-elle. Il s'est approché d'un coup...

— Et vous frappez chaque personne qui s'approche d'un coup ? Il n'a même pas levé le doigt sur vous, fulmine-t-il. Il a une reconnaissance handicapé : je vais porter plainte, mademoiselle !

— Non ! »

Une tornade de sentiments se saisit brutalement d'elle. Une tornade principalement constituée de honte, de regrets, et de panique.

« Je suis vraiment désolée, débite-t-elle rapidement. Vraiment, j'ai juste eu très peur, si j'avais su, je n'aurais rien fait, je vous présente mes plus plates excuses, j'ai cru que c'était un type dangereux, je veux dire, il n'a pas l'air particulièrement dangereux, mais...

— C'est bon, j'ai compris, la coupe-t-il. »

Elle baisse la tête. Elle aurait aimé avoir une pelle, non seulement pour s'assommer, mais aussi pour s'enterrer six pieds sous terre. Elle entend l'autre soupirer profondément. « Je peux comprendre que vous ayez flippé », finit-il par lâcher. « Je laisse couler. Mais vous avez de la chance – c'est bien parce-que vous avez paniqué ! »

Le soulagement l'envahit. L'autre aide son ami à se relever, et lui fait de nouveau face. La colère anime toujours ses yeux marron, mais cela ne l'empêche pas de réfléchir un long moment.

« J'ai une idée, grommelle-t-il. Peut-être qu'elle permettra d'amortir un peu les conséquences de votre acte.

— Oui ?

— Ça ne vous apprendra pas seulement à éviter de passer vos nerfs sur quelqu'un d'autre, mais aussi à savoir ce que c'est, le handicap.

— Mais encore... ? hésite-t-elle.

— Accompagnez-nous au concert du bar.

— Du bar ?

— Le Lumière Rouge. »

Elle fronce les sourcils. Elle n'en a jamais entendu parler, et sa proposition lui semble particulièrement en décalage avec la situation.

« Vous êtes sûr de vouloir que je vienne ? J'ai quand même...

— C'est justement car vous venez de le frapper qu'il faut que vous appreniez à vous connaître. Sinon, vous allez tous les deux rester sur une mauvaise impression – surtout lui, il a assez de problèmes comme ça pour souffrir d'un traumatisme. »

Oh. Pas bête, la bête. Elle ne peut qu'hocher la tête. « Bien. On se rejoindra là-bas... C'est le vingt-trois décembre. Il se trouve juste en bas de la rue du disquaire. On y sera vers vingt heures. » Son regard se durcit de nouveau. « Et vous avez intérêt à avoir réfléchi à votre comportement avant. De toute manière, il n'y a aucun moyen que je vous l'excuse. »

Nouvel acquiescement, plus timide.

« Bon, on va y aller... D'ailleurs, qu'est-ce que vous faites dehors à une heure pareille ?

— Oh, rien, se précipite-t-elle. Je rentre de chez une amie. »

Il plisse les paupières. « Bien. Bonne soirée », lâche-t-il avant de repartir, un bras autour des épaules de l'autre.

Dès qu'ils tournent dans une rue annexe, elle se prend rageusement les cheveux. Quelle bonne idée, de l'avoir frappé ! Anna, t'es vraiment une plaie ! Elle s'assied, dévorée par la honte. Elle repense à son dialogue avec sa professeure, à ses coups de poing dans le mur, à sa fuite de chez Alice. Elle a un talent pour se foutre dans la merde, et il lui apporte de plus en plus de soucis.

Elle inspire et expire profondément. Puis, au bout d'un laps de temps indéterminé, elle se relève lentement. C'est décidé : elle ne fuguera plus jamais. C'est la pire idée du siècle. Elle s'est comportée comme une adolescente irresponsable, capricieuse et impulsive. De toute façon, il faudra bien leur faire face à un moment. Alors, elle serre les mains sur les lanières de son sac, et prend la direction de sa maison. Elle est mieux là-bas, au milieu de ses disques.

Et puis, dehors, il fait terriblement froid.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant