Chapitre 49

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Bondé. Le portail blanc de ce lycée grisâtre à trois étages est bondé. Lycéens, parents, grands-parents se rassemblent là, dans la douceur d'un matin de juillet, pour se ruer sur la sentence finale des élèves de Terminale.

Aux côtés d'Anna se tiennent ses parents, Nadine, et Georges. Ils se sont arrêtés juste avant la foule, peu ravis de l'heure à laquelle ils ont décidé de venir ici. Il y aurait pour sûr un pic de fréquentation, à huit heures ! Mais ce n'était pas mon idée ! s'affole déjà la plus jeune.

Ses mains tremblent. Elle étouffe sur place. Elle ne sait plus ce qu'elle craint le plus : voir si elle a obtenu son diplôme, ou croiser Madame Lenoix. Ses prunelles bleues analysent chaque touffe de cheveux daignant se présenter à elle. Pour l'instant, aucun risque en vue.

Ses grands-parents ont voulu les accompagner ; néanmoins, la mère Martin les a – enfin ! – sèchement envoyés sur les roses. Ils ont donc dû rester chez eux – du moins, Anna l'espère. Les croiser ici, très peu pour elle, après tous les problèmes qu'ils leur avaient et ont causés.

Gigi, lui, n'est pas venu non plus, mais pour des raisons bien différentes. Avant dix heures, c'est trop tôt pour lui. Il lui a toutefois exhortée de lui dévoiler sa moyenne au plus vite. Si je rate... Non seulement mes parents et Gigi seront déçus... Elle se laisse emporter par le brouhaha environnant, à l'anxieux insupportable. ... mais ça sera définitivement la fin, pour moi et Madame Lenoix. La fin, alors qu'on a tout juste entamé le début !

Elle a pour de bon envie de partir à toutes jambes, mais celles-ci sont collées l'une contre l'autre comme de la glu. Crispée de la tête aux pieds, le dos suant, elle n'en mène décidément pas large. Elle se remémore son écriture soignée sur ses copies blanches, et ne semble pourtant plus que voir ses erreurs d'imbécile.

« Va falloir attendre encore combien de temps ? » s'impatiente Marcel. Sa fille a beau tenter d'articuler un seul mot, rien ne franchit sa bouche. Et elle le note sans mal : voici qu'il fronce les sourcils, les hausse, les relâche sous un agacement fatigué. Puis, il lui met une vigoureuse tape dans le dos : Anna hoquète dans l'instant, stupéfaite au possible.

« Reprends-toi deux secondes, lâche-t-il abruptement. Tu verras bien, on te le répète depuis qu'on est partis de la maison. » Georges se frotte la nuque dans un sourire désolé. Face à ce spectacle, l'adolescente inspire un coup, et hoche la tête. Navrée, mais pas moins nerveuse.

Non. J'ai vécu pire. Allez, rappelle-toi des meilleurs événements de ta vie. Alors, elle cherche. Lorsque Gigi l'a plaquée contre un mur, et l'a forcée dans son coming-out ? Ce n'est pas suffisant. L'instant où elle a frappé Théodore, alors. Non, j'avais juste envie de m'enterrer !

Sa fugue désastreuse ? Le siège au Lumière Rouge ? Un Noël affreux avec ses grands-parents ? Oui, laisser sa mère derrière était terrifiant. Et pourtant, plus elle s'en rappelle, plus cela fait écho au coup de fil de Robert et Bernadette à l'issue de son baccalauréat. Après cela, il y a eu une ambiance de plomb, et personne n'a plus tenté de rassurer Anna.

Elle secoue la tête, à la limite du désespoir. Sa pseudo-dispute avec Madame Lenoix n'est pas assez forte. La peur qu'elle a ressenti, et ressent encore pour Gigi, est si constante qu'elle ne peut pas la comparer avec celle qu'elle ressent désormais. De même pour la tension hideuse entre elle et sa professeure. Alors, quelle terreur ponctuelle peut-être piocher ? Elle serre le poing sous la frustration... puis écarquille les paupières.

Ma première manifestation.

Elle sent encore les brûlures du gaz de dispersion, les bousculades violentes, et les semelles dures des forces de l'ordre la piétiner. Oui. A cet instant-ci, elle avait presque vu sa vie défiler dans son pauvre crâne. Cela a été, et est encore, et sera peut-être toujours, la pire expérience de sa vie. À côté, ses examens relèvent de la pacotille.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant