Chapitre 28

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Non, Anna n'a pas pu s'offrir une nuit paisible. Il est cinq heures, Paris s'éveille, mais elle paierait cher pour s'endormir ne serait-ce que quelques secondes.

Ce qu'on lui a raconté retourne son cerveau. Marcel et Marie se sont en effet rencontrés au catéchisme, durant leur enfance, mais n'ont pas développé de sentiment entre eux. C'est lorsqu'ils sont tombés sur Nadine et Georges, au collège, que leur vie a pris un autre tournant.

Si Nadine et Marie, au bout de quelques amourettes garçon-fille, sont finalement entrées et restées dans le placard ensembles, paraît que les deux bonhommes sont lentement tombés amoureux ; cependant, ils l'ont refoulé chacun dans leur coin durant des années, jusqu'à atteindre leur majorité. Marcel a compris ce qu'il lui arrivait en souffrant de l'absence froide et dure du rouquin, parti étudier à Lyon.

Il est devenu ouvrier dans l'usine du coin. Il recevait des nouvelles de Georges via Nadine et Marie. Cela le rongeait toujours plus chaque jour, et les deux amantes le voyaient... ce, même de leur placard. Elles ont décidé d'avouer leur relation à Marcel.

Ça a été la douche froide. Il n'était pas le seul. Il n'y a pas cru.

Néanmoins, avec l'aide de ses deux amies, il a fait le premier pas quelque semaines après que Georges ait échoué sa licence, et soit revenu dans cette ville paumée. Du temps a coulé, ils se sont éloignés, rapprochés, éloignés, acceptés. Le Marcel de cette époque s'est détaché de l'influence dure et homophobe de ses parents. Pour Marie, c'était déjà fait. La jeunesse, pourrait-on dire ; l'émancipation qu'ils ont souhaité gagner...

... mais aucun des couples n'a fait assez attention.

Les quatre grands-parents d'Anna ont découvert le pot aux roses, et en ont été horrifiés. Ils ont voulu les renier, les jeter au loin, crier leur déviance auprès de leurs patrons mêmes. Toutefois, leur amour parental les déchirait, tout au fond. Alors, après mille menaces vides, ils ont envoyé Marie et Marcel chez le médecin. Lequel les a redirigés vers l'hôpital psychiatrique. Seule Marie en a fait les frais, au grand désespoir de Nadine.

Robert et Bernadette n'ont pas mieux vécu le traitement de leur fille. Traitement qu'ils ont pourtant mis en marche. Ils ont fini par la sortir de là, et leur ont ordonné leur rédemption, par un faux compromis. « Mariez-vous, enfantez, respectez le Seigneur, et nous oublierons cette histoire. » Voici le choix qu'on leur offrait si généreusement : abandonner leur identité profonde et leurs amours, ou perdre leur emploi, voire se retrouver à la rue... tous les quatre. Les vieux de Nadine et Georges sont restés en retrait, à peine au courant de cette dernière proposition.

Les quatre amis ont été consternés au possible. Ils n'avaient pas le choix, n'est-ce pas ? Ils devaient se plier à ce qu'on exigeait à Marcel et Marie. Et puis, autour d'eux, durant le début des années cinquante, ils n'avaient aucun soutien. Se séparer, ils ne pouvaient pas le faire... Alors, ils ont réfléchi à s'en arracher la tête. « Mariez-vous, enfantez... »

Et ils sont arrivés à un accord officieux. Marie et Marcel ont décidé de se marier, Nadine et Georges ont fait de même, chacun a pu se couvrir durant presque trente ans. Pour encore mieux jouer le jeu, Marie a donné naissance à Anna, à contrecœur. Il fallait enfanter, après tout. Anna n'était pas désirée, et ils l'ont pourtant éduquée.

Désormais, elle comprend bien mieux leur sévérité, austérité, distance. Ils se seraient presque perdus dans ces mensonges, sans Nadine et Georges. Comment ont-ils seulement pu tenir ainsi jusqu'à ce jour ?

Elle saisit aussi la réaction violente de sa mère en la voyant plaquée au mur par Ginette. Peu de personnes auraient associé un évènement pareil à une potentielle romance lesbienne. Elle conçoit leurs mots violents-mais-pas-trop, la nature de leur relation ayant viré à l'étrange suite à cela, le ras-le-bol de Marcel chez les parents de Marie.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant