Chapitre 29

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La Ginette en question détourne ses prunelles sapin, plus mal à l'aise que jamais. Son visage anguleux et pâle, son nez pointu et retroussé lui-même, tournent au rouge tomate. « Je..., balbutie-t-elle. Juste... Euh... » Ses doigts fins tripotent la ceinture de son large jean déchiré. Elle ne doit pas avoir bien chaud, avec son haut rouge et trop grand, son blouson en cuir patché et trop grand, et ses cheveux corbeau... aux antipodes du reste, avec ce crâne à demi rasé.

Elle semble d'ailleurs avoir raccourci la partie encore fournie. Là où ses mèches allaient à la moitié de son cou, elles frôlent désormais sa mâchoire. Elles restent toutefois en bordel. Au même titre que l'expression de leur propriétaire, incapable d'articuler quoi que ce soit d'autre.

Quoi, prise la main dans le sac ? Anna soupire, plus fatiguée qu'agacée. Voir une tête entièrement extérieure aux problèmes qu'elle a rencontrés en ce merveilleux week-end lui fait un peu de bien, elle doit l'avouer. Elle ouvre donc le battant aux planches rongées par l'humidité, et invite cette punk rafistolée à entrer. Cette dernière bloque un instant, mais finit par s'avancer. En osant grommeler !

« Sérieusement..., marmonne la châtaine. C'était gentil, ton mot, hier... » L'intéressée se raidit illico ; l'autre n'a pas la force d'être confuse. « ... mais tu en as mis un deuxième ? » Elle l'attrape, et s'apprête à l'ouvrir. Gigi se saisit de ses poignets avec vigueur. « Non, regarde pas ! » débite-t-elle.

Silence. Anna lui sert une expression peu convaincue.

« J'allais le faire de toute manière, donc...

— Mais pas devant moi ! »

C'est une blague ? L'embarras de Ginette en serait presque contagieux. Elle pose ses iris ciel sur cette pauvre feuille. Qu'est-ce qu'il y a d'écrit, dessus ? « Dans ce cas, ironise-t-elle, t'as qu'à te cacher au fond du jardin en attendant. J'en ferai une dissert' orale après, ça te va ? »

Long silence. La bougresse détourne sa face décidément écarlate, les joues gonflées. « Comme tu veux. M'en fous. » Ah bon. Cependant, peu de choses peuvent étonner la plus grande, après avoir appris que ses parents entretiennent des relations homosexuelles en cachette depuis bien avant sa naissance.

Elle ouvre donc le mot sans concession. Ses yeux bleus se plissent dès qu'ils lisent les quelques phrases y étant inscrites. A côté d'elle, Ginette hyperventile dans une discrétion plus ou moins réussie. « Anna. Je t'avais demandée de l'aide, tu te souviens ? On pourra en parler aux manifestations ? Devant la mairie, demain, 10h. » La châtaine se pince l'arête du nez, puis remet ses mèches derrière son oreille.

« Je pense qu'on peut en causer maintenant, énonce-t-elle platement. Je suis toute ouïe. Un thé avant, peut-être ?

— Maintenant ?! s'écrie la punk. Non, j'ai dit... aux... »

Elle baisse le menton. « ... manifs », finit-elle par grommeler. La boxeuse expire, au bord de l'agacement – le nuage blanc que soufflent ses lèvres fines en témoigne. Néanmoins, sa curiosité est piquée. De façon bien plus légère que durant ces quelques quarante-huit heures précédentes.

« Je ne sais pas si je pourrai y aller. On déjeune pour Noël dans une heure trente, tu peux t'avaler un truc. » Et, sans lui demander son avis, elle la traîne derrière elle, et tourne la poignée glaciale de sa porte d'entrée. Toujours toute de pin vêtue, avec ses carreaux opaques, qui lui avaient tant fait peur après sa première fugue... Et à raison.

Elle se fige toutefois dès que ce battant s'entrebâille. Gigi heurte son dos dans une exclamation surprise. « Bernadette, Robert, articule difficilement Marie. Vous pouvez proférer toutes les menaces que vous voulez : mais... » Elle se tient là, dans la cuisine, toute raide en face de leur combiné noir et beige. Et Nadine lui prend doucement la main, en hochant la tête avec tendresse ; sa compagne déglutit.

« ... si vous criez cette affaire sur tous les toits, vous en souffrirez aussi, parvient-elle à trancher. Nous laisser tranquille sera aussi bénéfique à nous qu'à vous. Sur ce... » Sur ce, sa fille comprend enfin l'enjeu de cette conversation, et pousse la punk dehors. « Ouais, non, c'est sympa, la neige ! » rit-elle, nerveuse. Elle se prend une expression quasi stupéfaite, mais l'ignore totalement. On va éviter de compliquer les choses, hein.

Elle observe son jardinet, la gorge serrée. Il y a un vieux banc, contre la haie morte les séparant de leurs voisins pas mieux lotis qu'eux. Recouvert de névé, certes. Mais Anna a un manteau, elle n'en souffrira pas vraiment. Quant à Ginette...

Son accoutrement de mes deux ne lui suffira pas. Grand bien lui fasse.

« Anna ? hésite-t-elle d'ailleurs.

— Regarde ce beau banc, entre ces belles herbes folles, contre ce beau buisson si pourri qu'il a besoin d'un grillage tout rouillé pour tenir debout. Endroit parfait. Ça te dit ? Oui, ça te dit. Ce n'est pas comme si tu avais le choix.

— Mais..., balbutie-t-elle.

Ginette, suis-moi.

— C'est Gigi ! »

Elle la suit tout de même. La jeune Martin prend place sans craindre pour son auguste fessier. Mais la noiraude, elle, paraît bien moins sûre, et cela se comprend. Ses iris verts trahissent tout de son incompréhension.

« Je peux pas vraiment m'installer là, je me les caille.

— On ne peut pas vraiment rentrer chez moi, ils prient si fort que tu pourrais en vomir. »

Ce mensonge sonne plus vrai que vrai. Ginette grimace, et essuie sa place de sa paume nue. Ses traits fins reflètent immédiatement sa douleur.

« Putain, c'est froid. Je...

— Assieds-toi sur mes genoux, alors, s'énerve Anna, mais arrête de chouiner !

— Je ne chouine pas ! » siffle l'intéressée.

Elle s'avance de quelques pas, mais freine au dernier moment. La plus grande en est presque blessée. Son homosexualité révélée au grand jour, peut-être ? Elle entend les paroles d'Alice, son joli « évite de me sauter dessus. » « Je vais pas te bouffer... », murmure-t-elle. Sa voix est plus vexée que ce à quoi elle s'est attendue. Elle se reprend donc.

« Reste là comme un prunier si tu veux, lâche-t-elle.

— Non, c'est bon. Je m'assois. »

Et elle prend place sur les genoux d'Anna, réchauffant ses cuisses au passage. Après avoir brièvement étudié la nuque rasée de près de Ginette, elle jette un œil à sa fenêtre, et voit son père dans le salon, plus blasé que jamais. Elle lui fait comprendre d'un geste qu'il n'y a rien d'ambigu là-dedans.

Du moins, elle l'espère.

Sur ce, elle croise les bras, et étudie l'allée vide et son goudron figé par l'hiver.

« Donc, ton problème ?

— Tu te souviens, quand..., s'étrangle l'autre. Quand je t'ai dit qu'on se ressemblait.

— ... Tu m'as dit ça ?

— Oui, lorsque tu m'as hébergée ! »

Gigi se tortille un instant, mal à l'aise ; ses os s'enfoncent dans les muscles courbaturés de la châtaine. Elle contracte les mâchoires, et enserre les épaules de la plus frêle dans la seconde. Le message est passé, malgré un sursaut... pour le moins douloureux.

« Désolée d'avoir oublié, alors. Ce n'est pas comme si l'ambiance était...

— Anna, souffle son interlocutrice. Je ne me sens plus moi-même. »

Elle cligne des paupières, confuse. Je vais jouer à la psy... ? Mais le timbre quasi-désespéré de Ginette l'empêche de sortir une quelconque pique. Elle reste silencieuse, la bouche scellée. Elle attend la suite. « J-B peut pas m'aider, là-dessus. J'ai pas beaucoup d'amis, Alice m'évite presque, et... » La jeune fille tremble. Son stress aussi, il est contagieux. Toutefois, après de trop nombreuses inspirations, elle semble se jeter définitivement à l'eau.

« Il n'y a que toi », débite-t-elle ; là, elle se retourne d'un coup, et pose ses lèvres sur les siennes.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant