Chapitre 8

905 75 39
                                    

Elle entre enfin chez le disquaire. Le soulagement l'envahit. Elle peut fouiner sans penser à sa professeure et à sa réaction qui a frôlé le cruel.

Elle se dirige vers le rayon rock. Pourquoi a-t-elle réagi comme ça ? Elle passe un doigt sur un disque, puis sur un autre. Elle ne voulait peut-être pas y croire. Elle regarde un exemplaire de Demolition des Girlschool sans le voir. Elle ne voulait peut-être pas rendre les choses compliquées. Elle n'entend pas plus la personne qui marche derrière elle. Et peut-être même m'offrir une occasion de me rattraper...

« Tiens, Anna Martin. » Elle sursaute. Elle réalise alors qu'elle était de nouveau perdue dans ses pensées... Et qu'une parfaite inconnue, de petite taille et aux cheveux noirs et ondulés, lui fait face.

Un sourire barre son visage anguleux. Au vu du côté rasé de son crâne et de son épingle à nourrice en guise de piercing au nez, elle fait certainement partie du clan des punks. L'autre la dévisage de la tête aux pieds, et pose ses yeux verts sur le CD du groupe féminin. « Les Girlschool. » Son rictus se fait presque dédaigneux. « Une fan de heavy, à ce que je vois. »

Anna plisse les paupières. « Qui es-tu ? » La noiraude laisse échapper un petit rire. « Une amie d'Alice. » L'inquiétude lui serre brièvement l'estomac. Non, elle ne lui a certainement pas dit, tente-t-elle de se rassurer.

« Et comment tu me connais ?

— Elle m'a parlée de toi. »

Oh. Un ange passe.

« Tu ne me demandes pas mon prénom ?

— Oh, pardon, je...

— Je comprends, tu dois flipper ta race.

— Pourquoi ? »

Elle s'approche légèrement. « Car les gens comme toi, ça ne court pas les rues », chuchote-t-elle. Elle se raidit. La conne... Elle lui a dit ! Elle ferme les paupières, inspire discrètement, et plante son regard dans le sien. « Je ne vois pas où tu veux en venir. Maintenant, j'aimerais retourner à mes occupations. » Cela dit, elle se tourne de nouveau vers les boîtes, et examine la couverture de l'album.

« Oh, non, tu ne peux pas faire les choses comme ça. » Elle passe à Positive vibrations de Ten Years After. « Tu sais, je pourrais divulguer l'information au reste du lycée. » Cet album date de 74. Il y a une chanson qui s'appelle « Nowhere to Run »... « Et si je fais ça, tes parents seront au courant, et là... » Peut-être qu'il serait intéressant à écouter.

« Ils te jetteraient de ta maison. »

Elle arrête tout mouvement. Elle peut presque entendre le sourire de l'inconnue. « Et donc, qu'est-ce que tu veux ? » jette-t-elle. Son interlocutrice la tourne vers elle.

« Que tu arrêtes de m'ignorer comme ça.

— Tu veux que je sois ton amie, c'est ça ? »

Ses joues rosissent subitement. « Non, n'importe-quoi ! Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire... » Elle s'étrangle, toussote, et se reprend.

« En plus, tu as des goûts de merde, reprend-elle de son air condescendant. Aimer le heavy, c'est juste aimer des barbares crier n'importe-quoi.

— Je ne pense pas que la musique punk soit si différente.

— Bien sûr que si ! Vous gueulez pour rien, vous.

— Et donc, tu veux m'aider à améliorer mes goûts. C'est profondément gratifiant que tu t'inquiètes pour moi comme ça... »

Elle se raidit de nouveau. « ... Mais je suis bien avec la musique que j'écoute. » Anna pose l'album, et avance vers la sortie. « Bonne journée. »

Elle sort dans la rue froide, enfin débarrassée. Du moins, c'est ce qu'elle pensait, car des pas précipités la suivent quelques secondes plus tard. L'agacement commence à pointer le bout de son nez : elle accélère. Ne t'énerve pas, Anna, ne t'énerve pas...

Elle tourne dans une ruelle pour rejoindre l'allée parallèle à celle du disquaire. Mais au bout de cinq mètres, une main la force à se tourner vers la lycéenne. Celle-ci la plaque contre le mur, et approche son visage du sien. Quelques centimètres seulement les séparent.

« Tu devrais montrer un peu de gratitude », articule-t-elle. Mon Dieu, qu'elle est chiante. « De toute façon, ça ne m'étonne pas de toi. » Inspire, expire... « En plus, ton comportement est insupportable. » Parle pour toi.

« J'ai voulu être sympa, et...

— Anna ! »

Une voix familière vient de crier son prénom. Elle tourne lentement la tête vers sa mère, qui se tient là, à un bout de la rue. Elle entend ensuite un sac tomber par terre. De l'autre côté, Madame Lenoix les regarde, bouche bée.

Elle pousse immédiatement la fille, et serre les dents. Elle ne se rend compte que maintenant que cette situation pouvait être particulièrement mal interprétée. Désormais, il est trop tard : les deux personnes qu'elle voulait le moins rencontrer l'ont vue avec cette peste, qui arbore un air presque désolé.

La colère l'envahit. Elle se retient difficilement de mettre une patate à l'inconnue, et prend la direction la moins risquée : celle de sa professeure. Celle-ci tente de l'interpeller, mais elle ignore.

Là, elle part en courant.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant