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    Jay restait silencieux, debout dans un coin sombre, observant son père s'énerver contre un de ses hommes.
   
    _ Une fille de dix-sept ans! Dix-sept ans! hurlait-il. Ce n'est pas compliqué! Comment avez-vous pu échouer?!
    L'homme, bien qu'imposant et de grande taille, avait blêmi. On pouvait même voir ses grosses mains malhabiles trembler. De la sueur perlait sur son front lisse et son regard fuyait celui du Maître, fixant le sol nu ou bien le bout de ses chaussures noirs. C'est d'une voix mal assurée et chevrotante qu'il répondit :
    _ Je... ils nous ont dévancés... le temps qu'on arrive, ils l'avaient emmenés. Mais...
    _ Mais? Mais quoi?
    _ ... mais peut-être que vous n'avez pas besoin d'elle pour euh... dupliquer vos pouvoirs. Peut-être que... peut-être qu'ils s'intensifieront d'eux même.
    Le Maître se rapprocha dangereusement de l'homme, le foudroyant du regard.
    _ Non, vous avez échoué, il n'y a pas d'autre alternative alors n'essayez pas d'étouffer l'affaire. J'ai besoin de la fille pour accomplir mes projets alors vous aurez dû me l'amener.
    Sur ce, il fit un mouvement imperceptible avec ses doigts; aussitôt, le visage de l'homme se crispa et il porta une main à sa tête, tombant à genoux.
    _ Je... vous en... en supplie... hoqueta-t-il. Vous ne... pouvez pas... me... tuer...
    Le Maître sembla hésiter puis, au bout de quelques secondes, relâcha l'emprise qu'il exerçait sur l'homme. Ce dernier resta à genoux, la respiration sifflante et les membres tremblants.
    _ Merci... merci... vous êtes trop... trop bon... bredouilla-t-il.
   Le Maître le toisa un instant du regard avant de répondre:
    _ Non, tu avais raison. Je ne vais pas te tuer.
    À ces mots, l'homme se lança dans une série de remerciements et de signes d'adoration ridicules.
    _ Je ne vais pas te tuer... répéta le Maître. Mais quelqu'un d'autre va s'en charger. Jay, joins toi à nous s'il te plaît.

    Jay ne devinait que trop bien ce que son père allait lui demander. Alors, il resta là, sans bouger d'un millimètre malgré la demande de son père.
    _ Jay? insista-t-il. Je t'ai demandé de venir.
    Considérant qu'ils étient tous dans le bureau de son père - son équipe avait trouvé une sorte de base souterraine abandonné où ils avaient donc tous " emménagé " - et que la porte était verrouillé, Jay n'avait pas le choix.
    Alors, il s'avança lentement, comme pour repousser l'inévitable. Bientôt, il arriva aux côtés de son père. L'homme, toujours au sol, devait lui aussi être en train de comprendre la situation et les regardait avec des yeux qui inspiraient grandement la pitié.
    Le Maître posa une main sur l'épaule du garçon. Et bien que Jay fut tenté de la repousser - cette main si froide et blême, aux ongles noircies et aux doigts fins qu'il ne connaissait pas - il ne le fit pas. Il ne cessait de se répéter que ce n'était qu'un mauvais moment à passer, que ses amis allaient trouver une solution à cette horrible situation.
    Il l'espérait. Mais était-ce suffisant?
   
    _ Tues-le.
    Il l'avait dit comme ça. Simplement. Un simple ordre. Comme il aurait pu dire " manges " ou " tais-toi ". Jay ferma les yeux. Oui, c'était simple. Il n'avait qu'à se concentrer un peu et à " balancer le jus ".
    Mais l'image de sa mère, son corps mutilé sur le bitume, à demi coincé dans le véhicule, son sang frais qui coulait sur le sol, qui avait éclaboussé l'intérieur de la voiture lui revint en tête. Il ne pouvait pas infliger ça à l'homme. Il ne pouvait pas le tuer comme il avait tuer sa mère. Peut-être le méritait-il. Peut-être qu'il travaillait pour son père, le Maître. Peut-être qu'il n'était qu'une ordure.
    Mais avant tout, il était un être vivant. Comme Jay. Et il ne pouvait se résoudre à tuer un être vivant, encore.
    Alors, il rouvrit les yeux et baissa sa main, qui s'était levée d'elle même.
    _ Qu'est-ce que tu fais?! siffla son père. Tues-le!
    _ Je... je ne peux pas.
    Le Maître le pris par les épaules et le plaça face à lui.
    _ Alors concentres toi!
    Cette fois-ci, Jay se dégagea.
    _ Ce n'est pas une question de concentration! Je... je ne tuerais pas cet homme! Il ne mourra pas à cause de moi!
    _ Alors ce sera Nya qui mourra. Puis Laya. Puis tout tes petits potes élémentaires. Et ce serra de ta faute. Pas de la mienne. Mais seulement de la tienne.
   
    Jay était coincé. Il savait que son père ne bluffait pas.
    Il se tourna alors vers l'homme.
    _ Non... non... s'il vous plaît... couina celui-ci.
    Jay ferma les yeux et détourna la tête. Ses doigts le picotèrent et, moins de deux secondes plus tard, Jay perçut un flash blanc à travers ses paupières closes et comme un sorte de... de grésillement.
    Une masse lourde tomba sur le sol. Une atroce odeur de chair brulée parvint aux narines de Jay, lui donnant la nausée tellement c'etait immonde.
    Il rouvrit les yeux.
    _ Tu vois, ce n'était pas difficile, conclut son père. Vient, on va à petite réunion: j'ai convoqué mes plus importants alliés pour parler de l'entrée en matière de mon grand projet.
    Jay ne comprenait rien de ce que son père lui disait. À vrai dire, il ne l'écoutait pas: son attention était focalisée sur le cadavre fumant de l'homme étalé sur le plancher.
    Et, tendis que les mains de son père le poussait au dehors de la pièce, il ne parvint pas à détacher son regard de l'homme qu'il venait de tuer.
   
    L'homme qu'il venait de tuer.

    De tuer.

    Tuer...

    Jay était un tueur.

𝟙• Dɪsᴘᴀʀᴜs [Eᥒ Rᥱ́ᥱ́ᥴrιtᥙrᥱ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant