Aujourd'hui.
Un objet pointu vient se ficher à quelques centimètres du bout de son nez. Une aiguille d'horloge, remarque-t-il. Il tourne la tête vers elle doucement. Elle grince :
« La tête, Hartfield. » Effectivement, juste devant son front, il s'aperçoit que passe un fil fin à l'air fragile.
« Qu'elle idée de mettre un truc pareil ici ? » Marmonne-t-il. Elle ne lui prête pas attention et finit d'emballer la dernière horloge. Intéressé, il demande :
« Vous les vendez ?
-Oui. Avec ce que je gagne j'en fais d'autres. L'homme qui me les prends me demande de jeter un œil à certaines en réparation ou me donne des antiquités qui ne fonctionnent plus. Je les démonte et garde les bonnes pièces. Les gens ne savent pas ce qu'ils perdent. » La fin de sa phrase est ponctuée par le serrage de la corde qui entoure son dernier travail. C'est plus d'informations qu'il ne l'espérait.
« Je vous emmène avec moi. De la ville vous pourrez aller à la Nouvelle-Orléans en deux petites heures. » Surprit qu'elle l'emmène, il sourit.
« Merci.
-Faites-vous un repas à emmener pour la route, on part dans trente minutes. » Elle allume sa pipe avec une allumette, puis déplie ses manches de chemise blanche d'un geste automatique. Il observe que son hôte a, parfois, des manières de vieil automate en métal. Il fait la réflexion qui lui brûle la langue depuis son :
« Vous avez disparu hier.
-J'étais à l'atelier. » Répond-elle sur le même ton.
« Vous ne me direz rien.
-Je vous ai dit une chose que vous n'avez pas écoutée : laissez tomber.
-Non ! » Il frappe son poing sur l'établit. Elle ne prend même pas la peine de sursauter qu'il poursuit :
« Vous ne comprenez pas-
-Je comprends que vous voulez venger votre famille, mais je vous assure que c'est une tentative vouée à l'échec. » Crache-t-elle.
« Elle détruit la vie de centaines de milliers de personnes. Et je suis presque sûr qu'elle fait cela depuis très longtemps. » Il fait le tour de l'établit pour demander :
« Elle est immortelle, n'est-ce-pas ? » Elle le regarde comme s'il était l'être le plus stupide du monde.
« Personne n'est immortel.
-Pourquoi pas ?
-La nature ne le permettrait pas. Tout le monde sait que la magie a toujours un prix à payer. » Elle met sa veste et le coupe d'office avant même qu'il n'ouvre la bouche :
« Je ne répondrais plus à aucune question. Si vous êtes prêt, on peut partir maintenant.
-Je suis prêt. » Autant en finir tout de suite. Il l'aide ensuite à charger les horloges dans la voiture noire, et ils partent pour la ville.
« J'ai rendez-vous quelque part avant. » L'informe-t-elle. Il se contente d'acquiescer. Il trouve déjà remarquable qu'une femme avec un caractère pareil lui ait proposé de l'accompagner. Elle se gare devant une belle petite boutique bleue rénovée récemment. Un homme âgé en sort et lui serre la main. Peter reste dans la voiture et observe l'étrange échange. Le coffre s'ouvre, se referme, les deux silhouettes entrent dans la boutique et Elizabeth ressort, une enveloppe en main. Elle remonte, ferme la porte et s'attache silencieusement.
« Alors ?
-On va à la gare routière. De là, vous pourrez prendre un bus pour la Nouvelle-Orléans. » Elle sort un billet de son enveloppe et lui donne.
« Pour être sûre que vous ne mourriez pas de faim en cours de route ou vous payer un taxi. On ne sait jamais, vous pourriez être une grosse perte pour quelqu'un.
-Vous êtes proche d'Harry, n'est-ce-pas ? » Demande-t-il en rangeant le billet dans son sac. Elle répond évasivement :
« Nous étions proches, il y a longtemps. » Elle le dépose à la gare routière sans un mot supplémentaire et redémarre. Une fois qu'elle le voit monter dans le véhicule, elle prend la route, en se maudissant intérieurement d'avoir fait ses bagages la veille. Elle branche son quitte-main-libre et compose un numéro qu'elle connait maintenant par cœur.
« Allô ? » Après un silence, le vieil homme appelle, incertain :
« Lizzie ? » Elle se reprend en un battement de cil.
« Oui, c'est moi. Salut Harry.
-Salut ma belle. Ça fait longtemps. Comment tu vas.
-Bien. Et toi ? » Elle n'attend la réponse que par courtoisie parce qu'elle se doute de sa bonne santé.
« Très bien ! Mais dis-moi, quel bon vent te pousse à m'appeler ?
-Pourquoi tu m'as envoyé le gamin ? Je sais qu'elle me cherche, mais j'aurais pu vivre encore quelques années tranquilles là-bas avant de partir. » Le silence lui répond. Elle n'aurait pas dû être aussi sèche. Elle l'appelle plus doucement :
« Harry ?
-...Oui. Prends soin de Peter, Lizzie.
-Je l'ai amené à son bus. Là, je rentre chez moi.
-Menteuse. » Elle soupire. La seule personne qui la connaissait à ce point est morte, cent soixante-trois ans plutôt. Elle déglutit avec un pincement au cœur. De toute façon elle n'a pas de chez elle.
« Je suis sûr que tu es en train de le suivre.
-Non. Je suis devant.
-S'il-te-plait. Prends soin de lui.
-Harry, c'est toi qui lui as parlé d'elle ?
-Oui, mais il ne sait pas tout. Il faudra que tu lui explique. » « Et pourquoi moi ? » Se retient-elle de remarquer. Elle profite de la courte absence de parole pour réfléchir à ce qu'elle va dire après.
« Harry ?
-Oui ?
-Prends soin de toi. » Elle raccroche et appuie sur l'accélérateur. « T'as de la chance gamin, je ne fais pas ça pour tout le monde. » Elle change de vitesse, encore deux heures de route en solo l'attendent. La mélodie mécanique d'une boite à musique se répand dans la voiture par les haut-parleurs.
« La route va être longue. »
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L'Horlogère
ParanormalDepuis longtemps, elle veille à l'équilibre du monde, guerre après guerre, horloge après horloge, sans jamais se défaire de sa bague, ni de son passé. Mais au fond, qui est réellement Elizabeth Albert? Si vous avez joué avec le temps, sachez qu'il e...