Maigre comme un piaf abandonné sur une branche

1 0 0
                                    


Je continue mon tri. Digressions, digressions. C'est ce que j'aime avec le docteur Makary, il ne me fait jamais revenir à mes moutons. Il suit avec moi le courant de mon imagination. Donc mon courrier. D'abord les indésirables. Le courrier de la mairie et autres prouesses politicardes. Du papier pour mes poufs. Je sais il n'y a pas de sot métier, et ceux-ci en valent bien d'autres. Quel sentiment a-t-on quand on a l'illusion de diriger les autres? J'apprends déjà à diriger mon propre petit monde et ça me suffit amplement. Je suis reconnaissante à tous ceux qui m'aident à rembourrer mes poufs. C'est une astuce que j'ai trouvée pour jeter le moins possible. Il y a des poufs partout dans l'appartement. J'en ai offert à mes collègues et au docteur Makary. il m'a dit qu'ils les a mis dans la salle d'attente de son cabinet. Du coup j'ai réalisé qu'il avait d'autres patients que moi. J'ai ouvert une fenêtre sur sa vie en dehors de moi. J'ai eu froid. Je l'ai refermée aussitôt. Je crois que ça m'a contrariée de me dire qu'il s'occupait peut-être d'une autre Asana.

Je fais la plupart des poufs de la maison moi-même. Je commande des chutes de cuir, et je les assemble. Très colorées les chutes. Je les fais venir du Maroc. Et j'ai des feutres fantastiques qui me permettent d'orner mes œuvres de cuivre, d'argent ou d'or. Mes poufs sont vivants. Vive la chair à pouf ! Fini pour vous l'agrandissement de la halle aux légumes, le thé dansant des séniors et le cross régional ! Je vous garde près de moi au chaud dans mes petits poufs de cuir marocains. Prisonniers mais saufs. Fini les petites phrases, mots croisés retors et les menus malbouffe. Vous rendrez votre dernier souffle, embastillés.

Viennent les publicités. Il y a aujourd'hui cette enseigne, qui veut me vendre une nouvelle literie. Elle a mis le paquet. Un couple alité. Lui, ventre plat, abdos irréprochables, un faux air de puceau pour tourner le sang de la miss Robinson qui sommeille chez la ménagère de moins de 50 ans, les cheveux savamment décoiffés. Elle, je la décrypte, sans pitié. Je traque, je pèse, je mesure. Pas un gramme de graisse superflue, des hanches à bébés sains et babillants, une blondeur innocente et une chevelure longue relevée en un sexy chignon négligé. Maigre comme un piaf abandonné sur une branche.

Par un effet miroir déprimant, je malaxe, triture et remodèle ma chair malmenée par les mensurations parfaites de cette fille. Moment pénible qui d'après le docteur Makary est commun à nombre de femmes. Celles qui s'infligent des traitements dispendieux, se privent de délicieux goûters, voire même de nourriture. Torturant leur chair magnifique sur des tapis, des vélos et autres machines inventées pour nous faire comprendre toute récompense mérite sa peine. Qui souhaite devenir un corps décharné qui à 28 ans est déjà faisandé?

Et pourtant j'aime la nourriture.

J'ai du manquer d'instinct.Where stories live. Discover now