Moi, centre d'un monde désert. (Part 1)

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Je m'appelle Asana. Ne me demandez pas pourquoi. C'est un choix de ma mère et beaucoup de ses choix n'ont pas de sens. Ce sont ses déclarations au monde. Ses proclamations esthétiques. Je m'appelle Asana parce que ça fait beau. Rien à voir avec le yoga.

Aujourd'hui, le docteur Makary a dit que j'avais beaucoup progressé. il a dit qu'il avait une surprise pour moi et que je devais m'y préparer. Alors j'ai décidé de le faire. J'ai décidé de faire un bon repas, tout acheter moi-même et au retour, de prendre le courrier.

C'était toute une histoire le courrier pour moi avant.

J'écoute le son de mes pas. C'est un bruit qui claque, de celui que j'aimais enfant. Le bruit sexy des talons d'une belle femme sur un sol dur. Je mets des talons hauts. Maintenant je me fais toujours belle même pour faire les courses. Je reviens de chez Carrefour. C'est une actrice qui a dit ça ou quelqu'un d'autre. Quelqu'un de connu qui a de l'importance. Cette personne a dit qu'il fallait toujours être belle , même pour aller vider la poubelle. On ne sait jamais quand on va rencontrer le prince charmant. Je la comprends, ce serait dommage de lui donner d'avance un aperçu de ce qu'il aura à côtoyer tout au long de notre future vie commune.

Je sors la clef. C'est un moment lent. Avec mon thérapeute le docteur Makary, j'ai travaillé dessus. L'air de rien, c'est ce qui m'a séduite chez lui, tout a progressé l'air de rien. Je me demande si c'est vrai pour tout dans sa vie. Et je me demande si se questionner là-dessus à propos de son thérapeute est approprié. Pas sûr. J'ai travaillé des mois, juste pour pouvoir sortir sur le palier. Puis d'autres pour descendre d'abord par l'escalier puis par l'ascenseur. Enfin le hall d'entrée. La boîte-aux-lettres, le courrier. Il y a quelque chose de magique dans la boîte-aux-lettres, quelque chose qui nous relie au réel.

Quinze minutes avant, je me prépare. Inspire, trois fois, expire trois fois. Pause. Ferme les yeux. Inspire trois fois, expire trois fois. Pause. Ouvre les yeux. Puis respire normalement. Détente du corps. Visualisation. Je fais tout le chemin, palier, ascenseur, hall, sas, boîte aux lettres. Je souffle. Je suis prête. Ultime précaution, surveiller par l'œilleton que je ne vais croiser aucun voisin. Je n'aime pas ça. Avec un voisin, on est sensé parler un peu. Des petites choses qui sont des riens . C'est comme parler avec l'épicier du coin. Je ne vois pas à quoi ça sert. Les gens m'ennuient. Ils ont toujours quelque chose à dire d'insipide du genre: "Il fait beau hein?" Wow le scoop!

Et puis, je ne me forçais plus à rien. Je n'en avais plus la force. J'ai dû réapprendre.

Pour le moment pas de voisin. Le docteur Makary m'a dit qu'en ça, je n'étais pas tellement différente des autres. Que nous sommes tous des égoïstes self-centrés et que c'était ce qui faisait le moteur de la vie. Les progrès ont toujours été faits parce que quelqu'un voulait se simplifier la vie, soit à son propre service, soit au service de quelqu'un d'autre, la conséquence étant la même. Faire davantage plus de choses en moins de temps et avec le minimum d'inconvénient. Puis il a souri. Pas moi. je n'aime pas l'idée d'habiter un pays de couards et d'égoïstes. Une nation effrayée. Je n'étais pas ça avant. Je le suis devenue.

Devant ma porte tout va bien. Je ferme à clef et j'appelle l'ascenseur. C'est une très belle expression. Comme je l'appelle, il répond. Je n'ai croisé personne. Prière silencieuse de remerciement. L'ascenseur est vide. J'aime les journées qui commencent comme ça. Des journées ouvertes. C'est le hall maintenant. L'ascenseur dans un dernier hoquet me rejette sur le palier. Il y a un petit vent. Je l'entends se glisser sous la porte du sas .Le sas s'ouvre dans un bruit de baiser. Les boîtes sont peintes en métal marron. Cette couleur va très bien avec les murs de velours bordeaux.

J'habite un immeuble prétentieux. Avec des faux gros lustres de faux cristal. Avec des tapis épais couleur lie de vin sur le parquet, et des statues faussement antiques dans la cage d'escalier. Je n'ai jamais eu l'argent pour m'offrir tout ce luxe tape-à-l'œil. Je suis un parasite. Ici c'est chez ma mère. Je suis une gosse de riches. Ma mère voyage en permanence. Elle est le pendule dont je suis le centre. Je suis sûre que si je disparaissais elle ne cesserait de tourner jusqu'à en mourir.

J'ai du manquer d'instinct.Where stories live. Discover now