J'ai du manquer d'instinct.

Je ne peux pas montrer mon corps.

Le sol de la salle de bain est recouvert de caillebotis. On y a installé un tabouret de toilette japonais. je m'y assied, et je commence à frotter mon corps au gant de crin. A ce moment-là, il faut chanter parce que ça fait mal. Je frotte jusqu'à ce que me peau me réponde. Elle chauffe, et le gant glisse dessus comme sur un rêve. Je secoue les peaux mortes. Il y en a toujours. Chaque matin, pendant vingt minutes, je réveille ma peau. Puis je passe au gant de crin synthétique. C'est une sorte de massage apaisant. C'est là que j'utilise l'eau de la bassine. Je ne frotte pas fort, le sel pique déjà pas mal. J'utilise du savon de Marseille. Et pendant ce temps l'eau du bain coule dans la baignoire.

J'aime l'odeur d'enfance que cristallisée dans mon savon. J'ai à nouveau cinq ans. Et maman me lave. Elle est heureuse et elle rit, elle rit tellement. Que ça me fait mal, des pépites qui explosent dans mon cœur. Il y a des gouttelettes d'eau qui traversent l'air, et le soleil joue avec, créant des étincelles dans la salle de bains. Où était-ce déjà? Du soleil dans le bain, une fenêtre, des éclats de rire et d'eau. Maman, m'enferme dans une serviette si douce, si chaude! Maman m'emmène ! Maman m'enlève!

Je frotte entre dix et quinze minutes. Je rince sous la douche. Cette salle de bain est fantastique. La douche fait face à la baignoire. Elle fait pleuvoir l'eau sur mon corps comme une tendre mousson.

Il faut rincer souvent et recommencer. Surtout entre les orteils, sous les bras. Et entre les jambes.

Je ne m'y attarde pas.

J'ai les cheveux très courts, je les lave aussi au savon de Marseille. C'est frais et c'est propre. Rien de séduisant. Juste du naturel.

Je ne m'épile pas.

Enfin, je rentre dans le bain. C'est bon de fermer les yeux et de se laisser peloter par une eau chaude et parfumée au romarin et à la lavande, des huiles qui selon le gourou de maman allient yin et yang. Va pour l'harmonie! Je flotte. Je n'ai plus de contour. Je suis l'eau, chaude et clapotante.

Je suis le calme. Je fus la tempête. Il a un exercice que je fais avec le docteur Makary : trois inspirs, détente, trois expirs, crispation, trois inspirs, soupirs. Petit à petit, je retrouve me contours. Ça commence par la bouche. Quand je détends mes mains et ma bouche, alors je sais que je suis en paix.

Sinon, c'est du mensonge.

Ma baignoire a des pieds. Je trouve ça marrant. Comme si elle pouvait s'en aller et s'enfuir à toute allure: m'emporter avec elle. Une baignoire libre et sauvage. On ferait le tour du monde. Moi au chaud, dans la moiteur exquise d'une eau parfumée, elle courant toujours comme un prodige.

Les gens ne diraient rien. Ils trouveraient tous cela extraordinaire .Ils applaudiraient en silence.

Mais je ne peux pas montrer mon corps.