Sa voix comme un radeau.

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Après le bain, je me tartine d'huile; c'est végétal, sans odeur, très rapidement absorbé. Les gestes sont automatiques. Ce sont ceux auxquels je réfléchis le moins dans la journée. Le docteur Makary pense que je devrais prendre le temps de penser à ma peau. Panser?

Mes vêtements varient très peu. Jean et pull. Bleu et noir. Des chaussettes, et mes mocassins bicolores Blahnik en cuir verni noir et blanc.

Avant de me mettre devant la tévé. Je prends mon petit déjeuner. Porridge, oeuf coque, thé et deux tartines de beurre salé. Pour l'eau chaude j'ai mon samovar. Je bois du thé à longueur de journée. Le docteur Makary pense que je bois trop d'eau. Marrant. Comme si c'était lui qui devait pisser à ma place. Je me demande combien de temps je passe aux toilettes. Et combien ça représente sur mon temps de vie. "De la place des toilettes dans le vie de..." Marrant.

Le matin, je ne cuisine pas. C'est madame Saran qui met tout sur la table. Ma tête est si encombrée le matin, que je pourrais foutre le feu. Là-haut ça se bouscule et le temps de faire de la place je perds parfois la notion du temps. C'est un des petits arrangements que le docteur Makary a pris avec monsieur Saran. Sa femme me fait mon petit dej. Et mon repas de midi. je cuisine le soir. Et comme je l'ai dit, je cuisine plutôt bien. C'est comme si le soir, mon moi réel se réveillait et se décidait à vivre. Il est plus vif, plus entreprenant.

Maman a appelé d'Afrique du Sud; Elle progresse et veut savoir si moi aussi; comme ça fait un moment qu'on m'a enlevé mes couches, je me doute qu'elle parle de mes conversations avec le docteur Makary. Je n'ai pas dit grand-chose. J'ai le sentiment que quand je parle , elle frissonne. Ma voix lui fait ça déjà quand on est face à face. Alors je la laisse parler. D'Afrique bla bla bla...Du gourou encore bla bla... De la vie bla... Mais jamais de ce que je souhaite entendre.

Le docteur Makary, je l'ai rencontré il y a cinq ans. Je venais d'avoir 15 ans et lui trente je pense. Marrant cette rencontre. Je me souviens de la salle d'urgence. Tout bougeait autour de moi. Les lumières, les cris, je voyais des mains passer et repasser au -dessus de ma tête. Je sentais des doigts qui palpaient ma peau. Et cette odeur. Une odeur de chair boucanée. Un massacre culinaire. J'essayais de m'éloigner de cette odeur. De distraire mes pensées. D'aller loin, là où il fait bon vivre. Au bord de la mer. En Écosse peut-être. Mais je ne décollais pas. Alors une voix a émergé de l'anonymat. Une voix douce et grave. Elle ne s'adressait pas à moi. Mais je me suis accrochée à elle. C'était la voix du docteur Makary.

J'ai du manquer d'instinct.Where stories live. Discover now