Le jour de mon plus grand bonheur , mon coeur s'est déchiré.

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Je veux dire au début tout allait bien. Mieux que ça même. Serge me voulait toute. Il était de ces hommes que la maternité n'effraie pas. Au contraire, elle devenait sa source d'inspiration. Une fois de plus j'étais sa muse. Il me donnait l'impression d'être le centre du monde. Il posait sa main sur mon ventre et me communiquait sa chaleur et son amour. Je nous sentais un. La mauvaise part de moi fondait devant cet amour exceptionnel. Ce fut l'apogée lorsque Serge décida de lancer sa série de moulages. "Ma vie, mon coeur". Des moulages pour chacun des mois de grossesse, accompagnés d'un support visuel sur vidéo. Le tout plongé dans une salle noire. La lumière tombait en pluie sur les moulages recouverts de symboles tribaux . Il avait fait des agrandissements de mon sourire, des mes yeux, de mes mains sur mon ventre projetés sur les murs par intermittence ... Tant d'amour. L'exposition avait eu un grand succès. Elle m'avait confirmé que j'étais l'amour de sa vie et que rien n'avait changé. Nous étions plus unis que jamais. Il me l'avait prouvé par des actes magnifiques . Nous faisions l'amour intensément et si souvent que je ne comprenais pas mes amies qui se plaignaient de ce que la grossesse leur avait volé. Je me sentais belle, aimée, désirée. Je pense même que tout ce bonheur avait semé des pépites de jalousie dans notre cercle d'amis. J'étais trop heureuse pour m'en rendre compte.

Dans ma tête j'allais mettre au monde une délicieuse petite fille . Nous serions comme j'avais été avec ma mère. Unies et complices. Je parlais tout le temps à la petite bulle qui se déplaçait dans mon giron. Je lui racontait mes journées ce que je voyais ce que je mangeais. Je lui parlais des fleurs de leur parfum. Je lui parlais d'art et de musique. Dans ma tête, nous nous entendions si bien. Tout serait magnifique merveilleux. Dans ma tête, j'étais une mère comblée avec une petite fille aux anges, toujours. Joyeuse et créative.

Le jour de l'accouchement nous étions allé acheter des macarons chez Ladurée après une virée shopping chez Christian Lacroix. Je voulais de la couleur et de l'exubérance. Et les douleurs ont commencé. On avait préféré prendre un taxi plutôt qu'une ambulance. Les contractions étaient très éloignées et je voulais prendre les affaires que nous avions préparées à l'appartement. Il y avait une jolie tenue pour le petit être qui allait faire son apparition. En route vers la clinique, je faisais des plans à voix haute. On avait choisi de l'appeler Asana. A cause des mouvements gracieux qu'elle faisait dans mon ventre. Elle ferait de la natation pour bébé. J'avais entendu parlé d'un cours de musique pour nouveau-né. J'allais l'accompagner partout. Je serai parfaite. Serge riait. Respire, Il me disait respire mon amour.  Alors je continuai. Déjà de tout façon on allait retendre ma peau. Lorsque j'ai formulé ses mots j'ai senti que quelque chose venait de basculer. L'air était devenu hostile et il fuyait mon regard. A plusieurs reprises même quand il me serrait la main, je sentais davantage son absence. Un reproche muet flottait dans ma jolie chambre baignée de lumière. Le sourire des infirmières ne parvenait pas à supplanter l'air maussade qui avait creusé son visage en une sculpture de glace. Qu'avais-je fais?

Péridurale, lettre à la poste. La petite était sortie si souple si calme. Asana. Pas de pleurs mais un regard étonné sur ce qui l'entourait. La salle d'accouchement était exposée plein ouest et son visage reflétait la lumière . C'était une petite fille magnifique avec des grands yeux presque noirs. Si profonds qu'ils donnaient l'impression de considérer le monde avec gravité. J'étais ravie. Soulevée par un amour auquel je ne m'étais pas préparée. Je la voulais contre moi. Sa jolie peau, son souffle calme. Toucher ses mains aux doigts si délicats et articulés si brillamment. Tout m'émerveillait en elle. Et je comprenais que me mère aie pu m'aimer autant. C'est un mystère de la vie qu'on vous dévoile, un amour sans partage qu'on vous offre. C'est plus que tout.  Elle et moi. J'en pleurai des larmes de tendresse. Puis la sage-femme l'a posée dans les bras de son père. Elle l'a considéré avec un rien d'ironie et il l'a plongée délicatement dans l'eau. J'aurais juré entrevoir un éclat de reconnaissance dans le regard qu'elle lui a jeté à ce moment. C'est là, oui parfaitement là ,que j'ai compris qu'ils seraient toujours seuls au monde et que je devenais une étrangère. La porte du club venait de se fermer devant moi. Le videur m'avais mise à la porte.

Le jour de mon plus grand bonheur , mon coeur s'est déchiré.

Serge venait nous rendre visite tous les jours. Dans cette clinique les maman restaient une semaine entière avec leur bébé. Il y avait des réunions pour discuter maternité entre celles qui avait accouché et d'autres réunion entre compagnons ou compagnes. On pouvait consulter à touts moment un psychologue.  Il a fallu comprendre que j'avais besoin de trouver à qui parler. J'avais confié au psychologue ce que j'avais ressenti. Elle en avait conclu que c'était certainement un des symptômes d'une dépression post-partum. Qu'Asana et moi nous avions été une avant et que maintenant je devais partager ce petit être avec les autres. Je devais faire le deuil de cette belle relation. C'était donc un rituel de passage. Alors pourquoi me sentais-je si seule? Quand j'en parlais dans nos réunions je pouvais sentir la compassion de toutes mais aussi un certain malaise qui flottait dans l'air. Serge était connu mais cette Clinique recevait des célébrités de tout horizon. C'était autre chose. Quiconque se promenait dans la clinique pouvait voir mon mari déambuler avec sa fille. Il passait peu de temps dans ma chambre. Je pouvais nommer ce malaise. Pitié. Je faisais pitié. Surtout depuis l'épisode du lait.

 Au début, Asana avait bu ce qui venait de mon corps avec avidité. J'aimais ces rendez-vous auquel Serge ne pouvait se substituer. Je la prenais dans mes bras, je pinçais mon aréole et je regardais le lait surgir par tous ces minuscules petits trous. Elle s'arrimait à ma poitrine et serrait mon doigt dans sa main. J'écoutais le délicieux bruit de satisfaction et de déglutition qui provenait de sa jolie petite bouche. Comme un ronronnement. Je me faisais l'impression d'être une lionne. Elle ouvrait ses yeux et me regardait pendant qu'elle s'emplissait de l'élixir qui lui apportait tant de joie. Ses doigts de pieds en éventail. Elle était la parfaite expression du bonheur. Et un jour, j'ai commencé à avoir de la fièvre. Il fallait empêcher que la petite attrape quoique ce soit. On l'a arrachée à mon sein. Le lait s'est tari très vite. La fièvre n'a fait que grimper, et c'est Serge qui a commencé à donner les biberons, j'étais trop faible pour le faire. Je me souviens d'avoir passé une nuit entière à pleurer. Était-il possible qu'une telle félicité puisse tourner au drame si rapidement? Chute vertigineuse du plus vers le moins? J'entendais d'ici les conversations dans mon entourage "ça ne pouvait pas durer! C'était trop! Tombée du piédestal!". Les fausses compassions, les regards entendus. J'ai cessé de me rendre aux réunions et j'ai refusé les visites.

Et je me suis centrée sur ce que je pouvais contrôler. Mon corps et ma carrière. D'abord on m'a retendu la peau puisque mon séjour en clinique s'était prolongé. J'allais me faire faire une lipo. Il se trouvait qu'un vilain staphylocoque avait pointé son vilain nez. Il était en de bonnes mains maintenant, alors je décidais que mon retour à la vie civile serait triomphant. Dans mon milieu, tout est affaire d'apparence. Personne n'est dupe, mais une attitude souveraine boucle bien des becs et fait sourdre les vapeur de l'envie. C'est une drogue totalement addictive. Je suis très douée dans ce domaine. Une magicienne, une prêtresse. Je revenais pour régner. Serge était rentré chez nous avec la petite. Je passais mes journées sur internet ou au téléphone. Les affaires reprenaient. Il me fallait un autre artiste à promouvoir.

Serge allait me revenir. Il se souviendrai de ce qui l'avait attiré en moi. La souveraine. Au commencement de tout. Je suis son alpha son oméga.

J'ai du manquer d'instinct.Where stories live. Discover now