C'est un monde d'hommes.

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Je n'aime pas ma coiffure. Mes cheveux sont secs et électriques. Ils ne tiennent pas en place et en plus, ils sont trop fins. Ce sont des cheveux bohèmes. C'est beau dans le texte pas sur ma tête. Avant ça m'amusait de chercher à les discipliner. J'avais trouvé la laque magique. Elle était si efficace que j'aurai pu rejoindre l'armée des playmobils qui tapissait le sol de mon placard à jouets. Une toison magnifique, casque brun aux reflets acajou. Et un jour, j'ai eu l'idée sublime de me raser la tête. Un coup de tondeuse, et je libérai mon crâne, je brisai les chaînes de ma servitude.

J'aime ma petite boule à zéro. J'ai l'impression qu'on peut voir s'y agiter mes neurones ou ce qu'il en reste. Le peu qui nage dans la brume saumâtre de mon cerveau est pas mal productif. Je suis assez fière d'eux. Mes braves petits soldats embarqués dans un avion sans pilote. Mes oreilles sont comme de délicats radars. Des sculptures faites sur commande qui parent délicatement mon visage. Je trouve mon crâne impressionnant. Pas une bosse, certainement pas celle des maths. Je me suis acheté des perruques sur le net. J'en ai cinq et elles et moi, on rigole beaucoup. Je les mets rarement. Elles se saliraient. Laver des perruques égale galère. Je les regarde, je les essaie devant le miroir, je parle à la dame du reflet. Il y en a une qui me donne l'air particulièrement stupide. J'ai de grands yeux, assez écarquillés, genre constamment étonnés de la vie. Alors avec cette coupe années 30 carré noir très court, je ressemble à un moine travesti qui tente une percée fashionista de très mauvais goût. Une tête qui aurait pu passer la journée à penser au rêve featuring le chat pisseur, en se repassant frénétiquement une couche vermillon de graisse mi-végétale,mi-animale, sur des lèvres customisées au collagène. Une tête qui vainement tenterait d'imprimer sur son visage un air indigné, sur la peau indifférente d'un front botoxé. Puis d'une pichenette, faire voltiger une mèche rebelle invisible en soupirant très mélo "irrécupérable", la bouche en cul de poule, un ongle carmin délicatement posé sur la tempe. Je pousse le personnage. Je vois dans ces yeux qui me lisent tout le mépris, tout l'étonnement du monde. Ce que je peux être vaine!

Moi le centre de mon monde!

Moi l'irrécupérable!

C'est ce que me disait maman: "il faut toujours que tout tourne autour de toi! Il faut toujours que tu sois le centre du monde! Ce que tu peux être vaine ma fille! Ressaisis toi!"

A quoi?

Non parfumée, non maquillée, non coiffée. Je sens moi de chez moi-même. Tout est authentique. Mon odeur, mon visage, mon crâne. C'est mon luxe. Le docteur Makary dit que plus une femme se dénude et se montre telle qu'elle est. Plus elle est intimidante et comme fardée du véritable mystère de la féminité. Les femmes naturelles et nues sont enfermées dans des plages. Avec des messieurs très natures et très moches. Le choc de leur beauté pourrait causer bien des commotions cérébrales. Imaginons des femmes qui se découvrent belles telles qu'elles sont. Belles et voluptueuses comme un scandale. Plus de calmants, de Valium et autre Prozac! Plus de mode, de gaines, de régime de fards et autres parfums camouflage. Elles et leurs odeurs, leurs peau qui s'échauffent. Un vent de liberté. Le docteur Makary a raison, ce serait le bordel. Les hommes sollicités dans leur faible chair ne sauraient où donner de la tête. Ce serait un cool bordel.

Mais c'est un monde d'hommes.

J'ai du manquer d'instinct.Where stories live. Discover now