ça m'avait pris doucement ce truc. Un jour j'avais juste commencé à plier mes habits. machinalement. J'avais ressenti le besoin d'espace. Plus je pliais, plus j'avais envie de ranger. C'était une sorte de rage sourde. Agir vite avant que l'instant s'évapore. Prendre la vague. J'avais commencé à trier. J'avais rangé mes vêtement dans le dressing. Il y avait des boites. Un tas de boîtes. Des boîtes de chaussures. Cadeau de maman. Je les ais ouvertes, j'ai placé les chaussures sur les étagères. On dirait une boutique. C'est vraiment pratique un dressing. Au début c'est là que j'ai commencé à entasser. Je savais où se trouvaient les sacs poubelle alors je suis allée dans la buanderie. Je me sentais légère. J'ai croisé mon profil dans le miroir du couloir. Il était ravi. ça m'a fait sourire davantage. Je pensais au Docteur Makary, je savais que ça lui ferait plaisir. Qu'il dirait que j'ai avancé et tout ça. J'ai rempli des sacs que j'ai laissé sans le vestibule. Ma chambre commençait à ressembler à un monde habitable. Le sol était libéré. C'est une grande chambre . Je me suis demandé ce que j'allais faire du lit de camp.
Dans le dressing il y a un miroir en pied. Je ne peux pas dire pourquoi, mais je me suis déshabillée. Et je me suis regardée. Quand on a la peau sombre, les cicatrices font des dessins comme un travail de maroquinerie. La peau de mon ventre est un assemblage de variation de brun. C'était bizarre mais juste à ce moment. J'ai trouvé que ça ressemblait à une oeuvre d'art. Que ce connard était un artiste qui travaillait la corrosion du fer. Que l'acide était son médium. Cet imbécile en avait toujours sur lui pour épater les gens . Une démonstration express de son savoir faire. Il avait rencontré maman comme ça. Un tour de magie acide-métal et elle avait fondu. Elle l'avait aidé à exposer dans une galerie alternative de Paris. Musique, dance, sculpture et peinture, tout se côtoyait. Parfois par le même artiste. C'était avant Instagram et le boom des galeries en ligne. Il était devenu l'artiste qui montait. D'une certaine façon, il m'avait entraînée de force dans son univers. J'étais devenue une de ses sculptures. Avant ça m'aurait fait vomir d'y penser. Là, je comprenais le sens véritable du mot "ironie".
Je m'étais regardée avec curiosité. Comme si c'était la première fois. J'avais mis plus d'un an avant de retrouver un semblant de sensibilité sur mon ventre. Je n'ai pas vraiment souffert.Les opioïdes sont d'une efficacité remarquable. C'était juste le poids de moi. Je rejouais la scène. Et je me demandais en quoi j'avais participé à l'élaboration du scénario. C'est vrai qu'avant j'avais des copines. On parlait fort parce qu'on était le centre du monde. C'est normal. Qui n'est pas le centre du monde dans une adolescence mondaine? Pas de parents pour nous regarder, alors il nous faut le monde. On sortaient beaucoup, et on était prises en photo beaucoup. Filles de... Sexy et décomplexées. Du champagne en mini-jupe et à paillette. Des poupées aux poses provocantes. Quand on croisait David on disait "Hello Daaaviiid!!" avec des rires dans la voix et on s'éloignait en pouffant. Je n'ai gardé aucune amie. elles ont peut-être voulu me voir. Je ne sais pas. C'est juste que ce n'était plus moi maintenant. pas le moi qu'elles avaient connu. Et allongée dans mon lit , quand les souvenirs sont revenus, je me suis souvenues combine nous aimions aguicher, énerver, provoquer. Était-ce pour ça que j'avais été transformée en statue de chair? Est-ce que c'était mal de vouloir être? Même si c'est à haute voix, avec des poses de sales gamine? Est-ce que ça ne fait pas partie de la jeunesse? Et qui dit qu'on était heureuses? On était des gamines paumées! Des petites garces féroces! Des billes agitées dans un bocal vide. On se cognait aux parois. Naturellement je sais que techniquement on va dire que ce n'était pas de mon fait. Mais intérieurement, il y avait cette voix qui me disait que j'avais récolté ce que j'avais semé. Cette voix qui me rendait malade et qui me faisait rétrécir. Et j'ai eu le sentiment que moi aussi je devais être punie.
David croupissait en prison. C'est ce qu'on m'a dit. Même sa famille n'a pas demandé de transfert. David est anglais. Je suppose qu'avec son physique , les temps doivent être durs. David est un homme dans la trentaine, châtain aux yeux vert. Contrairement à la plus part des artistes, il entretenait son corps. Il faisait attention à ce qu'il mangeait. Au tribunal, il a dit qu'il qu'il a perdu la tête parce que maman et lui avait cessé d'avoir des rapports. C'est monsieur Saran qui en avait parlé avec sa femme à l'hôpital. Il assistait aux audiences. Ils croyaient que je dormais. Il parait que David pleurait beaucoup. Mais je n'entendait aucune compassion dans la voix de monsieur Saran, juste du mépris et un rien de satisfaction. Je me disais que j'aurais juste voulu garder un ventre intact. Maman m'avait abandonnée aux bons soins des médecins et thérapeutes. Je n'avais plus entendu sa voix que par téléphone. Et heureusement il y a Skype. Mais elle a arrêté vite. Je crois que ça la mettait mal à l'aise. Et les murs se sont refermés sur moi.
Dans le dressing j'avais laissé mes doigts suivre les fractures de ma chair. Les souvenirs remontaient avec une lenteur de slow-motion. J'avais subi plusieurs greffes. On peut dire que l'argent fait des miracles parce que ma peau n'est plus aussi gondolée qu'après le retrait des pansements. Quand j'ai cessé d'être septique, on m'a transférée chez moi. Une des chambres d'amis aménagée spécialement avec un lit qui monte et descend et tablette pour les soins. Un hosto-mobile. Maman avait bien fait les choses, il y avait même un bouquet de fleurs fraîches. Je n'avais pas aimé les soins à domicile, même si j'étais abrutie de calmants. L'infirmière me parlait comme à une demeurée, sourde en plus. Elle articulait et vomissait les mots comme si je me trouvais à l'autre bout de l'appartement. Elle m'épuisais. Et voir la couleur des compresses me déprimais. J'avais développé une addiction envers les séries policières. Je les regardais pendant des heures. Je lisais moins. Je mangeais moins aussi. Les médicament me constipaient et aller aux toilettes était une torture. J'avais rationné la bouffe. Je voyais passer les saisons, et comme ça m'angoissait de voir les jours rétrécir, on avait fermé les volets. Je ne les avais plus ouverts.
La peau sur mon ventre est marquée, mais pas de creux ou de bosse. Juste une altération du paysage. Elle raconte mon histoire. Comment l'outre vide que j'étais alors avait fini par éclater à force de se remplir de vent. Je m'étais même demandé si un homme un jour passerait sa main comme ça sur les lignes de mon ventre. Il m'a semblé que penser à ça, ça voulait dire quelque chose.
Je me suis dit qu'il était temps d'aborder le viol avec le docteur Makary.
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J'ai du manquer d'instinct.
Teen FictionAsana ne va pas bien. En tout cas pas vraiment. Elle se reconstruit, cloîtrée dans la forteresse de son appartement. Trouvera-t-elle le courage d'affronter les démons de son passée? Le beau docteur Makary lui donnera-t-il le courage nécessaire? C'e...