Jour 0

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"I confess that I'm only holding on by a thin thin thread."

Maroon 5 - Sad


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En partant du principe que mes souvenirs n'aient pas été faussés par mon traitement, il me semble bien qu'il était britannique. Si je ne m'abuse, je dirais même qu'il était anglais et qu'il se qualifiait lui-même de poète et de philosophe. Dans la première moitié des années dix-sept cent, il n'a rien trouvé de mieux à faire que d'énoncer une thèse absurde sur le naturel des vices de l'homme. Aussi simplement que devait l'être le fait de porter une pomme à ses lèvres, il a laissé entendre que nos défauts ne devenaient une honte qu'à l'instant où – avec une aisance non feinte – nous tentions de les cacher ou de les faire passer pour des perfections.

Ce type n'avait-t-il jamais été adolescent ? Ou était-ce si simple de l'être au dix-huitième siècle ? Comment, à un âge où la différence est considérée comme une malformation et où la tolérance atteint le seuil le plus bas qu'il existe, pourrais-je vouloir laisser briller même mes faiblesses ? Nous demanderait-il à sa manière de ne pas avoir honte de nos défauts et de les laisser nous posséder sans que nous n'entreprenions rien à leurs égards ? Ce n'est pas ainsi, la vie. Plus depuis qu'internet existe et que le harcèlement scolaire a été détecté au début des années soixante dix.

Depuis le jour où un nouvel intellectuel a fouillé dans mon agenda et y a trouvé la date de mon rendez-vous avec ma psychologue, il ne s'est pas passé une seule journée sans qu'on ne rappelle aux gens qui m'approchaient que j'étais fou. C'était il y a plusieurs années déjà et le changement d'établissement n'y a rien apporté. En dehors de ma famille très proche et de rares amis, personne n'a jamais su accepter mes défauts.

Moi, j'emmerde ce philosophe. Mieux, j'aurais aimé pouvoir le lui dire en face et l'interroger par la même occasion. J'aurais voulu lui demander s'il n'avait pas une énième théorie bancale pour expliquer le fait qu'une bande de lycéens en fureur m'ait pris pour cible sans véritables raisons apparentes et me permettre de les affronter. Peut-être qu'il aurait pu m'aider à me relever, avec ses grandes phrases philosophiques. Peut-être même qu'il aurait pu faire parler sa science et donner une explication rationnelle au fait que je ne supporte plus la moindre personne qui me touche. S'il avait vécu à notre époque, je serais sans doute un adolescent normal, je présume.

SublimationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant