Jour 38

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"My broken pieces, you put them up."

Maroon 5 - Sugar

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La solitude et moi n'avons pas toujours fait qu'un. A mon souvenir, je ne suis pas de ces gens qui ne se sont jamais sentis à l'aise avec autrui et qui n'ont besoin de rien pour vivre heureux. Petit, j'avais même cette fâcheuse tendance à aller vers n'importe quel être vivant, humain ou non. Et lorsque j'y pense, j'entends encore ma mère me sermonner de m'être laissé aborder par un inconnu dans la rue. A cet âge, j'aurais pu raconter ma vie au premier passant ; j'étais jeune, j'étais insouciant, j'étais sain.

Cette irrépressible sensation de n'être en parfait accord avec moi-même que lorsque je suis seul est venu lorsque je suis venu habiter avec Calliopé. A partir de là, tout est devenu tellement plus compliqué, pour elle comme pour moi. Tout le monde aurait pu prévoir que je réagirais comme cela à un moment donné, mais personne n'a su dire quand et lorsque c'est arrivé, la bombe avait déjà fait trop de dégâts. Tout s'est joué sur un laps de temps si court.

C'était il y a près de six ans, peut-être même sept maintenant. Et aujourd'hui, je me rends compte que j'ai vécu presque la moitié de ma vie dans mon état actuel. Au collège, j'arrivais à noyer les choses grâce à d'anciens amis de l'école élémentaire que je continuais de voir de temps en temps. Même si mes violentes réactions face aux contacts physiques devenaient déjà ingérables pour eux qui m'avaient connus autrement, mes camarades faisaient semblant de ne rien voir, parce qu'ils voulaient garder en eux l'image d'un Séraphin rayonnant et attachant. Car aussi difficile à croire que cela puisse l'être actuellement, il a réellement existé.

Malgré les tentatives à répétitions de Calli, je n'avais plus envie de rien. Je ne m'asseyais plus avec mes amis ne serait-ce que pour déjeuner, je passais mes heures de pause à lire des bouquins dont la plupart ne devait même pas connaître l'auteur et mes notes chutaient sans que je ne puisse rien y faire. Et c'est avec toute la compréhension possible que même ceux que j'avais un jour pu appeler "amis" se désintéressaient de moi. Je leur en donnais l'occasion, sans même essayer de les retenir ; et lorsque lâcher la perche est devenu plus simple que d'essayer de la rattraper, je n'ai plus vu personne.

D'après les divers thérapeutes qui ont pu me suivre depuis, la cause est assez évidente à prouver, même si personne ne l'a laissé officiellement entendre. Cet accident à causé des dégâts, aussi bien sur Calli que sur moi, mais étant donné les circonstances, j'en aurais été le plus violemment touché. Soit. Pourquoi est-ce que j'irais les contredire alors qu'ils m'apportent un temps soit peu de réponses. Du coup, les séances avec la psychiatre ont été multipliées, mes antidépresseurs ont été augmentés et mon renfermement n'a pas manqué de prendre le même chemin.

Sans n'y rien comprendre, j'ai même essayé un nouveau traitement et j'ai longtemps cru qu'il serait mon sauveur, mon produit miracle. Sans grand succès. J'ai peu lutté, avant d'accepter la vérité qu'est mon besoin d'être seul, réellement, fatalement. Mais en avoir besoin signifie-t-il pour autant que je doive mettre des barrières face à l'Inconnu ? J'étais impulsif par le passé, je connais cela, alors pourquoi ne pourrais-je pas ressortir de sous terre ce côté-là de ce que je suis ? Parce que plus les jours passent, plus les rencontres près du ponton se font nombreuses, et plus je sens une brèche s'ouvrir en moi. Pas si profonde que cela, mais surtout pas noire. Là où ma solitude seule trônait il y a peu encore, je sens désormais l'envie d'y joindre une part d'Azraël.

Vingt-trois. Cela fait exactement vingt-trois jours que je l'ai aperçu debout sur cette rambarde pour la première fois, à me demander si je devenais cinglé ou non. Il n'a pas manqué une seule soirée depuis celle-ci ; ou peut-être est-ce moi qui n'en ai manqué aucune, je ne sais pas vraiment. Ce n'est pas toujours moi qui suis là en premier alors, je pense pouvoir dire que nous nous attendons mutuellement chaque soir. La plupart du temps il est assis sur le bord, les pieds se balançant dans le vide, attendant simplement de reconnaître mon grognement de mécontentement de le voir si proche du danger pour en descendre. Et par dessus tout, ce qui me plaît dans ces instants, c'est cette douce impression de respect qu'il y a entre nous. Comme s'il savait que je n'avais pas été proche de quelqu'un depuis un long moment et qu'il me laissait un temps d'adaptation face à tout cela. Il est rare que nous échangions plus d'une cinquantaine de mots à chacune de nos rencontres, mais j'ai malgré tout l'impression d'apprendre à le connaître. Ça me fait du bien, de savoir qu'il est quand même présent tous les jours, de savoir qu'il comprend et respecte ma façon de faire, de savoir que oui, il me respecte. Alors je souris, comme le naïf que je suis, parce que je me rends compte que quelque chose en moi est en voie de changer. Une chose absolument folle et infiniment grande. Je suis en train de m'attacher à un être humain. Et le bien être que cela me procure ne me fait même pas peur. Je souhaite simplement, chaque matin en me levant, retourner voir Azraël et le regarder dans les yeux à n'en plus pouvoir.

SublimationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant