Jour 14

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"I am scarred and I do not know what to do with you."

Maroon 5 - Miss You, Love You

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Bien incapable d'expliquer pourquoi j'ai ressenti le besoin de venir ici, mes pieds foulent un sol que j'ai découvert il n'y a que trop peu de temps, et faire demi-tour maintenant ne servirait à rien. Même si je me refuse à penser réellement à la raison de ma venue, je sais pertinemment que mon inconscient le sait, lui.

La journée a été mauvaise, pour ne rien changer aux bonnes habitudes. Je suis rentré chez moi aux alentours de six heures ce matin, passant lâchement devant Calliopé sans un mot, la laissant porter son attention sur les diverses habitations de nos voisins. L'ignorer est chaque fois plus facile que d'affronter son regard vidé de m'avoir attendue assise là des heures durant. C'est égoïste, mais sur le coup, je n'en ai rien eu à foutre. Je me suis contenté de me dire que si elle était fatiguée, elle aurait tout aussi bien pu aller se recoucher au lieu de perdre son temps dehors. Puis comme les emmerdes ne viennent jamais seules, je me suis retrouvé avec plus de dix minutes de retard en cours. A ce stade, et avec ce qu'il s'est passé hier soir, je m'attendais presque à ce qu'un comité d'accueil de plus de trente personnes m'attendent devant les portes. Je m étais préparé à voir Calvin et tous les moutons qui le suivent rire de moi. Sauf qu'à mon grand étonnement, c'est sans doute la première fois depuis des mois qu'il ne m'a pas adressé la parole une seule fois de la journée, même pour laisser sortir une insulte. Et aussi plaisant cela aurait-il du être, j'ai passé ma journée à me demander pourquoi et à n'en avoir que plus peur. Relater la suite n'amènerait rien de bien plus agréable. Mes cours de la journée étaient consacrés aux langues, les pires quand on sait qu'à chaque fois mes professeurs trouvent le moyen de m'interroger malgré ma peur de cela. Mon heure et demi de pause a été bien trop longue pour moi parce que j'ai fini de lire mon bouquin au bout de dix minutes et que la librairie proche du lycée était exceptionnellement fermée ce midi. Quant à ma fin de journée, elle s'est déroulée chez le psychologue, à attendre désespérément que le rendez vous me précédant sorte de sa crise de larmes. Le bonheur, dans toute sa splendeur.

Finalement, je suis rentré chez moi de mauvaise humeur et en suis ressorti à peine trente minutes plus tard, avec cette violente envie de revenir ici. Et je crois bien que c'est la première fois de la journée que je souris sincèrement, même un peu. A la lumière du soleil l'endroit n'en est que plus appréciable et je réitère mes dires d'hier au soir : ce coin se rapproche du paradis. L'eau miroite sur les rebords du ponton grâce à la position de l'astre chaud et semble donner une brillance surnaturelle à tout ce qui m'entoure. Comme cela le serait dans un rêve. Je ne me sens pas autant en sécurité que chez moi, surtout après les évènements d'hier au soir, mais c'est une sensation qui pourrait y ressembler grandement. La liberté, le calme, l'apaisement. Il y a bien longtemps que je n'avais pas trouvé un endroit agissant si positivement sur mon corps et mon subconscient. Et bien que mon esprit s'efforce de vouloir me faire penser le contraire, je sais pertinemment que je ne suis pas revenu ici dans le seul but de recroiser l'inconnu d'hier soir. En aucun cas je n'ai basé ma soirée sur l'éventualité de croiser son chemin à nouveau. Je m'y suis refusé, parce que je n'ai besoin de personne et encore moins d'un abruti jouant les funambules sur un pont en plein milieu de la nuit !

Un nouvel ouvrage sous le bras, j'ai pourtant pris la peine de d'emporter ma lecture du moment jusqu'ici, avec l'intention évidente de m'épancher des mots de Glattauer ; parce que j'aime à croire que moi aussi, un jour, je pourrais rencontrer quelqu'un par internet et m'exprimer plus librement avec cette personne qu'avec n'importe qui d'autre. Prenant mon envie au mot et descendant comme je le peux au bord de l'eau, je laisse l'herbe caresser mon jean et la pente glissante acquérir les marques de mes chaussures. Mais une fois mon but atteint, je ne peux m'empêcher d'oublier instantanément les embûches de parcours. Mieux encore que de la haut, alors qu'il n'y a que quelques mètres qui séparent le tout, la vue ici est fabuleuse. Et le contrebas prononcé protège le lieu de toute brise environnante pouvant perturber sa beauté. Mes yeux s'émerveillent de chaque fleur, de chaque nénuphar à la surface de l'eau et de chaque brindille sur laquelle je vais pouvoir m'allonger, livre en main.

SublimationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant