Jour 55

34 5 0
                                    

"Would have bled to make you happy."

Maroon 5 – Wake up Call

*


Avoir un jour pu croire Calvin différent des autres à cause de son homosexualité est la plus grosse erreur de jugement que j'ai pu faire de toute ma vie. J'y pense sans arrêt depuis plusieurs jours, sans répit, parce que jamais son regard n'a été si haineux que dernièrement à mon encontre. C'est un horrible mélange de cruauté et de lueur malsaine que j'avais prié ne jamais revoir. Depuis la fin de la semaine, j'attends bêtement le soir ou son poing va s'abattre sur mon visage, mais jamais il n'arrive et ma peur n'en est que plus grande. Pour ce genre d'individu, se retenir n'est jamais bon, je le sais.

Plusieurs fois déjà, la chose s'est glissée dans nos conversations à Azraël et moi. Il me pousse à marcher la tête haute, avec un regard fier, sans me laisser démonter par ce que peuvent dire ou faire ces enfoirés. Sauf que lui comme moi savons que je n'ai pas sa force et son mental. Calvin me terrifie depuis bien trop longtemps pour que la pression qu'il exerce sur ma personne ne se dissipe en si peu de temps. Il est le plus fort de nous deux, il n'y a aucun doute à émettre là-dessus, et il le sait pertinemment.

Alors oui, quand je quitte la salle de cours et que je les vois tous regarder dans ma direction depuis les portes du lycée, je n'ai plus le moindre doute. Cette accalmie n'a été que trop longue et le grand jour est arrivé ; il ne peut plus se contenir. Et bien que je m'y sois maintes fois préparé ces derniers jours, la peur ne fait que m'envahir plus encore. Mon cœur bat la chamade, douloureusement. Tout commence maintenant et ne se finira que dans de longues minutes. Très longues minutes.

Traverser la cour.

Ne pas soutenir leur regard.

Passer devant eux la tête haute.

Penser à Azraël.

Se faire héler.

Insulter.

Puis bousculer.

Penser à Azraël.

Se faire plaquer contre un mur dans la ruelle voisine.

Répondre à l'attaque par des mots.

Puis les regretter.

Avoir peur.

Penser à Azraël

Croire que tout est perdu.

Fermer les yeux.

Penser à Azraël.

Les ré ouvrir.

Se défendre.

En quelques semaines, et tout cela grâce à Azraël, j'ai commencé à devenir un autre. Une personne meilleure, plus sure d'elle et plus forte. Du moins, le croire me suffit et me fait du bien. Je prends doucement confiance en moi, sur bien peu de points, mais assez pour ne plus pouvoir me taire. Et même si le geste que je m'apprête à faire ne me correspond pas et que je connais mon tort, je ne peux me retenir. Je le fais pour moi, pour ma sœur et pour l'homme que j'aime. Oui putain, je l'aime et je me fous des conventions qui disent que ce n'est pas possible.

Finalement, à l'instant même où mon poing s'abat sur le visage de Calvin, je ne pense qu'à Azraël et c'est seulement en sentant la douleur traverser ma main que je prends conscience de mon geste. J'ai changé pour être libre, pas pour devenir un connard de leur espèce, et c'est exactement ce que je suis en train de faire en répondant à la violence par la violence. Je ne veux pas me battre, simplement me défendre, défendre ma vie et le semblant d'honneur qu'il me reste. J'essaie d'esquiver les coups et de protéger mon corps, mais sa réaction a été bien trop vive et brutale pour que je ne sois épargné. Ça a fonctionné dix secondes tout au plus, avant que deux de ses amis ne m'attrapent violemment par les bras et ne me retiennent. Très vite, le goût habituel du sang revient envahir ma bouche et ma respiration se coupe à chaque coup que je reçois dans l'estomac. Physiquement, je perds ; mentalement, je suis plus gagnant que je ne l'ai jamais été. Je me sens comme un champion entrant sur le ring après avoir battu son énième adversaire consécutif.

SublimationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant