Jour 15

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"Give me something to believe in, cause I don't believe in you anymore."

Maroon 5 – Makes Me Wonder

*


Il serait étrange de dire que cet Azraël m'intrigue, mais ne pas le dire reviendrait à mentir honteusement. Je ne sais quelle version de la chose est la pire, ou la moins effrayante. Surtout alors que j'ai quitté le lycée en hâte, avec le seul espoir de le croiser dans mon nouveau paradis, alors que j'entends encore ces mots me dire qu'il serait présent. C'est pathétique, mais je crois que je m'en fous. De toutes façons, ce n'est pas comme si j'étais à cela près. Et puis ce soir je me sens presque calme, alors assis dans l'herbe, je dessine après des mois sans que ça ne me soit plus arrivé.

Sans envie et sans inspiration, prendre une feuille n'aurait servi qu'à m'énerver davantage et j'aurais perdu le goût de la chose bien trop vite. Pourtant, il m'a suffit de m'allonger dans l'herbe fraîche et sortir un papier blanc pour que le bonheur de tenir un crayon se rappelle à moi. Comme un véritable appel, ma mine a commencé toute seule à tracer un visage sous mes yeux. Un visage que j'ai d'abord cru imaginaire, ou sorti d'un lointain souvenir, avant qu'il ne prenne doucement forme devant moi et que je comprenne. Je dessinais mon inconnu.

« Tu dessines quoi ? »

En sursautant, je rabats instinctivement la feuille contre moi tout en lançant un regard noir à mon visiteur intempestif. Je vais finir par acheter une clochette à ce type pour qu'il arrête de me faire peur chaque fois qu'il approche de moi sans prévenir. La prochaine fois, ça m'évitera de frôler l'attaque cardiaque.

« Ça ne te regarde pas. »

« Et moi qui ai espéré que tu sois là parce que tu avais décidé de devenir un minimum sociable. »

« Je suis là parce que j'aime bien cet endroit. Point. »

Sans me demander mon avis, Azraël s'assoit dans l'herbe à quelques mètres de moi, suffisamment pour que je n'en sois pas effrayé. C'est comme s'il avait compris ce que tout cela avait signifié hier soir, ou il n'a juste pas envie que je m'enfuis à nouveau ; mais je lui suis reconnaissant d'avoir laissé cette distance minimale entre nous.

« Donc tu n'es pas là ce soir parce que j'ai laissé entendre que j'y viendrais ? »

« Le monde ne tourne pas autour de toi, Azraël. »

« Au moins tu as retenu mon prénom. C'est un début. »

En réalité, je n'ai pas retenu que son prénom. J'ai aussi retenu l'intonation de sa voix, le bleu de ses yeux et cet après-midi, lorsque j'ai croisé Calvin, je me suis pris à me souvenir de sa présence ce soir-là. Je ne sais pas pourquoi il était là, ni s'il a pu m'aider ou simplement effrayer ce porc, mais depuis, je le revois debout sur cette rambarde chaque fois que je croise Calvin dans un couloir. Autant dire, régulièrement.

Il reste là, à la fois proche et loin, silencieux, respectant le calme que j'avais instauré autour de moi avant qu'il ne me rejoigne. En tournant les yeux vers lui, je me prends à penser que dessiner avec un modèle ne pourrait que rendre le résultat plus appréciable encore. Mon modèle se tient juste là, devant moi, ne pas en profiter serait un crime.

Avec toute la concentration dont je suis capable, je fais en sorte de noter tout ce qui jusqu'à présent ne m'avait pas effleuré l'esprit. Son menton fin surmonté de lèvres fines, mais pas trop. Ses pommettes saillantes, agrémentés de joues – à ma surprise – plutôt creuses. A nouveau, je tombe sur les ridules habillant le coin externe de ses yeux. Enfin, de son œil, parce que je ne l'ai que de profil ainsi disposé, et que je m'interdis de lui demander de se retourner pour mon bon plaisir. Même si ce n'est que pour un dessin, et qu'il ne peut qu'avoir remarqué que je n'ai d'yeux pour lui depuis quelques minutes, je refuse de le lui faire savoir officiellement. Car aussi pessimiste, emmerdeur et chiant que je puisse l'être, je sais aussi reconnaître la beauté des choses quand je la vois, et même si ça m'arrache la bouche de le dire, je me dois d'avouer qu'Azraël à un visage ô combien agréable à regarder. Et que coucher ses traits sur mon morceau de papier est un plaisir sans nom.

SublimationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant