"And does it make you sad to find yourself alone."
Maroon 5 – Not Coming Home
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Relativement souvent, j'ai cette impression de ne pas être à ma place dans ce monde. Je ne me suis jamais senti en accord avec lui, jamais vraiment. Je ne comprends pas les lois générales qui le régissent, je ne comprends pas son fonctionnement, je ne comprends pas son peuple. Lorsqu'il m'arrive de me poser et de réfléchir à tout cela, je prends conscience que je ne suis pas à l'aise avec tout ce qui m'entoure. Et de toutes les choses qui me font peur, c'est l'une des pires. Est-ce que les hommes de Cro-Magnon pensaient ainsi eux aussi ? Est-ce qu'il est arrivé aux générations passées de se demander comment nous pourrions vivre, nous, au vingt et unième siècle ?
Chaque fois qu'il m'est possible de penser par moi-même, je me demande si ce n'est pas l'époque à laquelle je suis né qui me tourmente ainsi. Le temps des nouvelles technologies, de la communication, de la médecine. L'âge où toute différence est proscrite et où les plus faibles tombent sous la coupe des plus puissants. Ces futures années qui arrivent et qui à l'évidence, annoncent bien plus de malheur encore que mes yeux n'en ont déjà vu, me font plus que peur. Je ne crois pas me tromper en affirmant connaître un jour l'ère de la robotique et ce sont toutes ces choses qui me font frissonner de terreur lorsque je prends la peine d'y réfléchir. Et si je me réveillais un matin pour découvrir que ce ne sont plus les pancakes de Calliopé qui m'attendent, mais les préparations futiles d'un être vide de tous sens et de sentiments ? Et si un instrument de ferraille venait un jour veiller sur mon sommeil et que sa carapace vide était la première chose que je voyais en ouvrant les yeux ? J'ai cette étrange crainte que dans un futur proche, je ne sois même plus maître de mon corps et que – pareil à un film de science fiction – un clone s'élève et vive à ma place. Qu'y a-t-il de pire au monde que de laisser son corps agir sans que notre cerveau ne puisse en avoir le contrôle total ? Je m'y refuse, je voudrais même ne pas y penser et pouvoir rêvasser tranquillement comme le font tous les autres adolescents de mon âge. Moi, je n'y connais rien à la science. Je souhaite simplement pouvoir lire jusqu'au bout de la nuit et apprendre à connaître encore plus profondément la façon dont nos ancêtres pouvaient vivre. La leur, de vie, devait être bien plus passionnante que ne l'est la mienne ce soir.
Si un jour la science arrivait à voir plus grand qu'elle ne le fait aujourd'hui, je prendrais le risque de leur demander une chose, une seule. Et Dieu m'en tiendrait rigueur si je croyais en lui, ça n'aurait rien à voir avec la robotique. Ce que je voudrais, moi, c'est que tous travaillent sur une machine à voyager dans le temps. Un processus international qui apporterait une révolution que rien ne pourrait jamais égaler et qui servirait à tout être humain en âge de penser par lui-même. Ce que je voudrais, moi, c'est qu'il y ait une date butoir à partir de laquelle tout à chacun devrait faire un choix. Un moment marqué au fer rouge dans la vie des centaines d'enfants naissants chaque jour aux quatre coins du monde auxquels on demanderait : « Alors petit, dans quelle époque veux-tu réellement vivre ? ». À partir de cette simple interrogation, de cette toute petite question, tout serait tellement plus facile pour les gens comme moi.
Qui n'a jamais rêvé de se retrouver ailleurs et de s'enfuir du monde dans lequel il était coincé ? Certainement pas moi. Si on m'avait laissé cette chance, si c'est à ma personne qu'on avait demandé où je voulais être envoyé, mon cœur n'aurait pas refusé ; il aurait seulement balancé entre deux époques qui me sont bien trop chères. En premier lieu, la Renaissance Italienne se serait imposée à moi comme une évidence. J'y aurais vu leur mode de vie, ainsi que leurs pratiques cultuelles et sociales. J'y aurais vécu la concrétisation d'un art qui est à mes yeux le plus beau qui ne se soit jamais fait. J'y aurais découvert tout un monde à part, avec ses complots et ses conflits à outrance. Tant de choses m'auraient plu, là-bas. Mais au fond de moi, j'ai l'intime conviction que mon second choix l'aurait emporté sur le précédent. Sans trop en demander, la machine aurait fait le tour des époques jusqu'en seize cent quarante, dans un petit coin de France appelé Versailles. Dans les meilleures conditions possibles, c'est dans l'aura du Roi Soleil que j'aurais pris place, entouré de musiques et d'artistes bienséants. Plutôt que d'entendre les divagations de ces filles accros aux romans proches du porno et sans aucune estime de la Femme, je me serais trouvé à côtoyer Racine ou Molière et aurais fait de cette chance ma plus grande fierté. Lully m'aurait bercé de ses douces mélodies, tandis que la Comédie Française m'aurait accueilli à bras ouverts. Alors oui, en effet, la peste, le manque d'hygiène ou la guillotine auraient pu m'emporter, mais jamais à cette époque je n'aurais eu à me retourner vingt fois en longeant une rue, de peur qu'un adolescent ne m'y suive avec un couteau à la main. Je pense qu'il faut être réaliste et savoir faire des choix dans la vie, les miens sont tout tracés. Je ne suis pas apparu durant la bonne période, il n'y a pas à en débattre plus. Pour ainsi dire, j'aurai tout aussi bien pu ne jamais exister, qu'est-ce que ça aurait changé ? Certainement rien, rien de dramatique.
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Sublimation
General FictionDans son sens le plus courant, la Sublimation est le passage d'un corps de l'état solide à gazeux. Séraphin est né humain, mais si le choix lui avait été possible, après la mort de ses parents, il aurait préféré devenir une étoile. Lycéen de dix-sep...