Chapitre 1

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Dix-huit heures. Heure de pointe ; le train était bondé.

Au fond du wagon, sur les banquettes un groupe de lycéens écoutaient de la musique avec une enceinte tout en discutant bruyamment. Les basses résonnaient contre les sièges et les éclats de voix envahissait un wagon un peu endormi. Devant eux, une dame âgée lisait un roman, son sac à main sur les genoux. Non loin, une jeune femme regardait le paysage défiler à travers la large fenêtre du train, pensive. A l'autre extrémité, un grand homme trapu et épuisé somnolait contre un rideau fermé. Encore ailleurs, quatre adolescentes révisaient leur leçon d'histoire pour l'interrogation du lendemain, s'interrogeant tour à tour en riant.

Quelque part encore, au milieu de tout ce monde, il y avait Uranie.

Elle avait le regard froid, ses écouteurs dans les oreilles et le coude droit posé contre le rebord de la fenêtre, comme souvent.

S'il fallait décrire Uranie, il faudrait dire d'elle qu'elle a les yeux noirs, les sourcils toujours froncés, les cheveux coupés droits au carré et toujours son mot à dire sur tout.

A côté d'elle, Angelina, une amie à elle -sa seule, d'ailleurs-, regardait un épisode d'une série américaine sur son portable, complètement captivée et isolée du monde sous son immense et ridicule casque de marque anti-son.

Mais les écouteurs d'Uranie ne l'étaient pas. Ni de marque, ni anti-son. Alors bien sur, Uranie a encore une fois son mot à dire. Le coup de poing qu'elle assena contre la parois du wagon fit donc sursauter les plus distraits et accapara l'attention des plus détendus.

« Eh, vous. Elle défia du regard le groupe de lycéens. Est-ce que vous voyez quelqu'un d'autre faire chier tout le monde ? Si vous voulez écouter de la musique achetez des écouteurs, on a pas besoin de profiter de vos goûts musicaux de merde.

L'un d'eux se leva, claquant ses baskets vers elle. Angelina soupirait déjà, zieutant rapidement par où elles allaient bien pouvoir encore s'enfuir si cela dégénérait avant de se concentrer sur sa série. - Qu'est ce que tu veux, toi ? »

La jolie brune le toisa du regard, un rictus de mépris sur les lèvres qui ne disparu même pas lorsqu'il l'attrapa par le col. Angelina, elle, par contre, se raidissait et grimaçait. Et voilà, elles avaient encore des ennuis. Le volume de la musique augmentait derrière eux.

« Donc tu vas me frapper ? D'accord, mais si tu en vient à utiliser la violence, c'est que tu sais que t'auras pas le dernier mot si on ne fait que parler. C'est triste d'accepter d'être stupide.

- Fais pas chier. T'es la seule dans le train que ça dérange !

- C'est déjà ça, une personne. Plus tous ceux qui n'osent rien dire, ça commence à faire du monde. Ta liberté s'arrête là où tu nuies à autrui. Normalement on voit ça en sixième. »

Et c'est à ce moment là que tout le wagon comprend : discuter avec Uranie, ce n'est que pour se donner mal à la tête. Alors quelques secondes plus tard à peine, le lycéen se débarrassait d'elle en râlant, partant se rasseoir. Le volume de la musique continua d'augmenter, pour finalement redescendre lentement et s'arrêter au bout de quelques minutes. Le groupe adressa un rapide regard hostile à Uranie lorsque l'enceinte s'éteignit, comme pour lui faire comprendre qu'ils ne le faisaient pas pour elle. Celle-ci leur rendit un large sourire orgueilleux. Ils partirent au prochain arrêt.

Et donc, Angelina redressait finalement les yeux de son écran et retirait son casque. « Uranie ! T'aurais fait quoi s'il t'avais vraiment frappé.

- J'aurais eu mal, je suppose. Mais il l'aurait jamais fait, c'était un lâche, on s'en fiche.

- Et alors, t'es obligée de chercher la merde, comme ça ?

- T'entendais pas, moi si. Ils me dérangeaient. »

Tout le wagon épiait leur conversation, silencieux. Tous rejoignaient Angelina. Si Uranie n'avait pas agit, ils se seraient peut-être lassés d'écouter de la musique et auraient éteint l'enceinte avant leur arrêt. Ils n'auraient jamais réglé le volume si fort.

Mais Uranie n'en avait franchement rien à faire.

Uranie n'était pas une bonne personne.

Si elle devait mourir aujourd'hui, elle irait probablement en enfer.

Mérite-le.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant