Chapitre 23

3 1 0
                                    

Des sifflets raisonnèrent, et enfin, le train démarra. Uranie inspira profondément en s'enfonçant dans son siège, maussade. Encore une fois, il y avait le même genre de personnes dans le train.

Un groupe d'amis riait, une dame âgée bouquinait silencieusement, un couple dormait, une jeune femme rêvassait, une famille goûtait, Uranie observait. Comme toujours, tout ce petit monde s'articulait autour d'elle, et elle, spectatrice, elle les jaugeait. Elle imaginait leur histoire, leurs rêves, leurs ambitions. Ils semblaient si loin. Les deux heures de trajet s'écoulèrent lentement, rythmées par le brouhaha ambiant.

Lorsque le véhicule s'arrêta enfin, elle fila à travers la gare, emprunta son raccourci habituel, retrouva la devanture de chez elle. Rien n'avait changé. Elle sonna. Quelques instants restèrent en suspens puis on lui ouvrit.

Un homme se dressa devant elle. Il était voûté, le regard triste et l'air hagard. Uranie arqua un sourcil. C'était bien son père, mais quelque chose avait changé en lui. Ces cinq années ne lui avaient pas fait de cadeaux.

Après l'avoir serré dans ses bras et avoir bougonné qu'elle ne l'avait pas prévenu de sa visite, il l'entraîna à l'intérieur. Le salon aussi avait changé. Le canapé avait été remplacé par une étagère en bois peint. Il n'y avait plus que deux petits fauteuils parme, juste en face d'une télévision démesurément large. Il y avait de nouveau cadres sur les murs, aussi. Une photo d'elle soufflant la bougie de ses dix-huit ans, la même mais de sa sœur, une carte postale, un cliché d'elle et son ex-petit-ami trônait même sur la cheminée. Visiblement, il connaissait déjà bien la belle famille. Bon, dans ce cas, elle cachera aussi à ses parents leur séparation, histoire qu'ils ne la prennent pas en pitié et ne la dérange pas en étant chagriné par la nouvelle.

Les minutes s'enchaînèrent tandis que l'eau du thé réchauffait. Elle hésita à demander où était sa mère et s'ils étaient divorcés, mais il y avait son portrait sur la cheminée. Elle y souriait, le visage fatigué, le crâne dégarni et sur un fauteuil roulant. Quelques chrysanthèmes fanaient encore à côté, dans un petit verre fissuré. Plus de mère, donc. Elle n'avait jamais vraiment fantasmé un futur avant sa mort, mais si elle l'avait fait, ce n'aurait probablement pas été ce qu'elle aurait souhaité. Finalement, peut-être qu'être morte dans son bain avait de bons côtés.

« Je monte dans ma chambre, d'accord, papa ?

- Oui, vas-y ... Uranie ? Elle se retourna. Merci d'être venue. C'est rare que tu rentres, ça me fait plaisir. Tu pourrais venir avec Mathieu pour Noël, cette année ...

- ... Ouais. Elle mima un sourire. Ouais, je viendrai, papa, compte sur moi. »

Elle monta les escaliers et traversa le couloir pour rentrer dans sa chambre et s'écraser sur son lit. Il s'appelait donc Mathieu, le beau brun qui l'avait quitté. Son père semblait bien l'aimer, dieu merci, elle était morte avant qu'ils se rencontrent et donc qu'ils se séparent.

Contre toute attente, son enceinte était encore dans sa chambre. Elle était partie en la laissant sur la table de chevet. Depuis, elle avait dû en acheter une bien meilleur. Un large sourire aux lèvres, elle connecta son appareil dessus et lança une musique au hasard. Cela lui avait manqué. Avant sa mort, il n'y avait bien que lorsqu'elle était seule dans sa chambre en écoutant de la musique qu'elle se sentait sereine et complètement heureuse. En y réfléchissant bien, c'était un peu triste. Tant pis, elle aimait trop peu les Hommes pour perdre son temps avec eux.

Enfin, elle lança tout de même instagram. Lucien Guilhot. Cet idiot avait bien un compte. Sa photo de profil était une photo d'un chat multicolore qui danse la tectonique et il n'avait aucune publication. Elle plissa les yeux, pleine de jugement. Quel naze. Pas de profil pour Lucy ou Gabriel, en tout cas. Ils utilisaient probablement juste des pseudonymes plutôt que leurs noms et prénoms. Celui de Léna était empli de photos magnifiques, en tout cas. Elle les parcourut avec une pointe de jalousie. Cette femme était définitivement magnifique. Mais cela ne l'avait pas menée au paradis pour autant. Elle mima un sourire suffisant avant de soupirer. Elle non plus, remarque. Elles étaient bien dans le même bourbier.

Dix-neuves heures. Il ne lui restait plus que trois heures dans ce futur. Après avoir encore regardé le plafond pendant quelques instants, elle attrapa son portable. Les messages privés de Lucien n'étaient pas limités à ses amis, parfait.

« Alors, cette journée ? Sur une échelle de 1 à 10, le futur ? Je t'écris ça, mais, est-ce que t'as au moins réussi à ouvrir ton portable, Mister escalier ? »

Envoyé. Elle éteignit l'écran, un sourire bienheureux aux lèvres. Cependant les minutes s'enchaînèrent, sans réponse. Uranie soupira. Vingt-heure. Tant pis. Pourquoi ne pas prendre un bain, histoire de faire passer le temps ? Angelina avait raison, elle était obsédé par les bains.

Lucien ne lui répondit jamais. Après tout, la dernière connexion à ce compte remontait à il y avait plus d'un an.

Mérite-le.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant