Émilie se réchauffa les mains, elle descendit les marches menant aux quais puis prit le chemin de droite. Un vieux chalutier désormais hors d'usage était à deux cents mètres de là. Adam et elle avaient l'habitude de traîner là-bas, leur petit coin, leur petite planque. Quand un des deux ne se sentait vraiment pas bien, il avait pris pour habitude de venir se réfugier au sein de ce bateau.
Elle se plaça face à l'épave. Trois mètres séparaient les quais du rafiot. La fille prit son élan et sauta, atterrissant plus ou moins bien, glissant à cause de la neige, elle se rattrapa in-extremis sur le cordage, puis elle entra par la porte, à moitié ouverte. L'adolescente découvrit son meilleur ami, assis en tailleur, dos contre la paroi, avec un bidon dégageant de maigres flammes.
- Alors c'est comme ça que tu vas passer ton Noël ? A boire de l'alcool jusqu'à être ivre-mort ?
- Étrangement, je savais que t'allais venir d'une manière ou d'une autre. Bah, n'est-ce pas tous ce que nous faisons au réveillon ? Toi, tu as ton champagne, moi j'ai ma bière., de l'alcool c'est de l'alcool.
- Arrête de jouer avec les mots, tu m'as très bien comprise.
- T'es venue faire quoi ici, me ramener ? Me ramener où ? Chez toi ?
- Ouais et pas qu'un peu tu vas me suivre. Pourquoi tu m'as pas appelé, je t'ai dit qu'il y avait une place pour toi autour de notre table !
- Ah ouais ? Bah désolé, je pensais pas que mon père n'allait pas venir. J'ai attendu, encore attendu. J'ai scruté mon téléphone chaque minute de cette putain de nuit, il est pas venu Émilie, il est jamais là. Tu veux que je vienne chez toi ? Bien je vais venir chez toi, et après dire quoi à ta famille, « Bonsoir mon père n'est pas venu me voir, je me retrouve donc seul dans cette évènement de famille dont je ne fais pas partie. Vous auriez une petite place pour moi, j'aime votre pitié. ». Sûrement pas. Retourne chez toi, le dessert doit t'attendre. C'est bon Émilie... je suis habitué. A force de recevoir des coups de poignards, je ne ressens plus rien. César lui en a reçu vingt-quatre, lui au moins, est mort une bonne fois pour toute. Moi je meurs continuellement. Donc à un moment donné, tu zappes, tu trouves ça « normal ».
La jeune fille resta silencieuse. Je savais qu'elle savait que j'avais raison. Peut-être m'étais trop apitoyé sur mon sort. Mais était-ce vraiment ce que je ressentais ? Je pense.
- Arrête Adam... si tu n'étais pas affecté tu ne serais pas ici... juste...
- Juste quoi ? Oh que oui je suis blessé si c'est la question. Mais j'ai pris l'habitude d'être blessé par ce connard qu'est mon père. J'avais tout organisé, je m'étais fait des puuuuutaaaain de bons films dans ma tête, on s'expliquait à tour de rôle, on discutait, on arrivait aux excuses, les miennes, puis peut-être les siennes, puis venait le moment de s'enlacer, de manger le pot-au-feu, de couper cette bûche, sur cette table que j'avais aménagé pour l'occasion, pour enfin lui donner son cadeau. Mais rien, rien de tout n'est arrivé ou n'arrivera. Je sais même pas pourquoi je me suis cassé le cul à essayer de l'appeler
Oui. Ce sont mes sentiments. J'ai une triste haine actuellement envers mon parent.
Vidant la bouteille d'une traite, je la jetai. Elle traça une courbe avant de s'éclater contre la tôle, le son se répercutant sur toute la pièce.
- Rien de tout ça n'arrivera, Émilie... putain je sais même pas pourquoi je suis ici, c'était prévisible ce qui allait arriver... j'essaie d'arranger tout ce que j'ai merdé... et regarde comment ça se passe. Je l'ai appelé plusieurs fois, des messages vocaux, des SMS... y a rien à faire... je suis habitué. Je n'ai de famille que le nom. Ce n'est que mon père par le titre. Je suis profondément attristé et pourtant pas une seule larme ne sort. Je n'arrive pas à pleurer ma tristesse tellement c'est devenu banal. Et pourtant... les larmes, j'en ai un paquet en moi en ce moment.
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Androhumain : L'homme électrique peut-il rêver ? [PAUSE]
Science FictionParis, 2045. En 1980, nous pensions qu'en 2010, les voitures léviteraient à ras du sol. En 2010, nous pensions qu'en 2040, les voitures voleraient dans le ciel. Eh bien sachez-le, nous en sommes encore loin. Certes, la technologie a avancé, nous av...